Chefferie du NPD: la voix du Québec en sourdine

Le Québec ne pèsera pas lourd dans la sélection du prochain chef du Nouveau Parti démocratique. Si le NPD est parvenu à tripler son nombre de membres pendant la course à la chefferie en cours, il n’a pas réussi à regarnir ses rangs québécois, qui sont deux fois et demie moins importants qu’il y a cinq ans. Certains s’en désolent, mais beaucoup voient matière à se réjouir. Surtout, plusieurs voix tempèrent la crainte d’une perte d’influence du Québec au sein du parti.
Les sympathisants néodémocrates avaient jusqu’à la mi-août pour acheter leur carte de membre et ainsi obtenir le droit de choisir le successeur de Thomas Mulcair. Selon le NPD, ils ont répondu en masse. Le nombre de membres est passé de 41 000 à 124 000. Ce total est très similaire aux 128 351 personnes recrutées en 2012 lors de la précédente course à la chefferie. Toutefois, il y a une différence marquée dans le recrutement québécois. Il n’y a que 4907 membres dans la province, contre 12 266 il y a cinq ans, ce qui fait passer le poids relatif de la province au sein du parti fédéral de 10 % à 4 %.
L’entourage du candidat Jagmeet Singh soutient avoir vendu 47 000 des quelque 83 000 nouvelles cartes de membre émises. Du lot, 30 000 auraient été vendues en Ontario par le clan Singh et 1500 au Québec.
L’Ontario compte désormais le plus de partisans, avec 52 200 membres (42 %), suivi de la Colombie-Britannique avec 31 974 membres (26 %). L’Alberta (10 188) et le Manitoba (10 134) se partagent la troisième place avec approximativement 8 % des membres chacune. Le Québec arrive au sixième rang, derrière la Saskatchewan (8083) et talonné par la Nouvelle-Écosse (3595). À titre de comparaison, le Parti conservateur a recruté 259 000 membres pendant sa course à la chefferie s’étant terminée ce printemps. La répartition régionale n’avait pas tant d’importance, car contrairement au NPD, qui élira son chef en vertu de la formule « un membre, un vote », le vote conservateur était pondéré géographiquement pour éviter la prise de contrôle par une région.
La plupart des députés ou militants néodémocrates du Québec interrogés par Le Devoir se réjouissent de ces chiffres puisqu’il n’y avait plus qu’un millier de membres en début d’année, soutiennent-ils. « On souhaite toujours une plus grande mobilisation des citoyens, mais c’est plus compliqué au Québec que dans le reste du pays parce qu’il n’y a pas de parti frère comme dans les autres provinces », fait valoir Robert Aubin, député et président du caucus québécois à Ottawa.
Dans toutes les autres provinces canadiennes, un militant adhérant au NPD provincial devient automatiquement membre du parti fédéral. Or, il y a eu élection en Colombie-Britannique cette année et course à la chefferie au Manitoba.
M. Aubin ajoute qu’en 2012, la présence de Thomas Mulcair dans la course « facilitait les choses au Québec. Je ne veux rien enlever à Guy Caron, mais M. Mulcair avait fait sa marque en politique provinciale, il avait une notoriété, et ça a eu un effet marqué. » Alexandre Boulerice abonde dans le même sens. « On avait plus de membres en 2012 au Québec, mais on avait 59 députés, alors qu’aujourd’hui on en a 16. »
L’ancien directeur national du NPD Karl Bélanger reconnaît que 4 % de l’effectif national, « c’est peu, effectivement. Ça démontre que le NPD n’a toujours pas de racines très profondes au Québec. Cela pose tout un défi si le NPD veut une organisation solide afin de conserver ses sièges en 2019 et même en augmenter le nombre ».
Cela dit, il tempère la lecture qu’il faut en faire. « Tous les partis au Québec éprouvent de la difficulté à recruter des membres et à amasser de l’argent. Il s’agit de contrecoups de tous les scandales, des commissions Gomery et Charbonneau. Le Québec est l’endroit où c’est le plus difficile d’impliquer les gens en politique active. »
Le Québec marginalisé ?
L’ex-député Pierre Dionne Labelle est moins optimiste et s’inquiète pour l’influence du Québec. « On dirait qu’on n’a pas encore digéré la défaite. On n’a pas encore repris le “momentum” nécessaire. » Selon lui, un si petit nombre de militants « pose le problème du poids politique des membres au Québec ». Il craint qu’un candidat n’ayant pas de bonnes antennes au Québec réussisse à se faire élire à la tête du parti, mais nuise ensuite aux chances électorales du parti dans la province.
Alain Giguère, lui aussi un député défait en 2015, estime qu’il ne faut pas faire tout un plat du faible poids du Québec. « La dernière fois, c’était la même chose. Ce n’était pas le Québec qui choisissait. » Néanmoins, il craint l’élection de Jagmeet Singh, qui a pris position contre la loi 62 sur la prestation et la réception de services publics à visage découvert. « Ces déclarations font qu’il ne passe pas au Québec. »
À cet égard, Alexandre Boulerice rétorque que le choix du chef n’est pas tout. « Il y a le choix du chef, mais pour la suite des choses, il y a des Québécois dans toutes les instances du pays. On peut envoyer des délégués dans les congrès, etc. »
En coulisses, une source néodémocrate estime que certains auraient eu intérêt à moins critiquer et plus travailler. « Les gens qui craignent [une perte d’influence du Québec au sein du parti] se devaient de faire un travail plus important et de recruter des membres. […] C’est facile de dire au ROC d’écouter le Québec, mais il faut faire le travail sur le terrain ! »
Les équipes des trois autres candidats dans la course n’ont pas voulu commenter publiquement les chiffres ni révéler combien ils ont recruté de partisans. Mais en coulisses, la campagne de Guy Caron, le seul Québécois dans la course, se réjouit qu’avec un tel total de membres une victoire au premier tour de Jagmeet Singh soit à peu près impossible. L’équipe de M. Caron estime que son poulain est le second choix de la majorité des partisans des trois autres candidats. Pour tirer profit de ce potentiel, il faut évidemment éviter un couronnement au premier tour et… ne pas arriver dernier.
Or, on estime que le message de M. Caron passe, à savoir que « si le Québec ne choisit pas le prochain chef, c’est lui qui choisira le prochain premier ministre » et qu’il faut donc un chef à son écoute. On estime que les attaques contre M. Singh sur la loi 62 lui ont permis de se positionner. « Ce n’est pas un débat sur la laïcité, c’est un débat sur la façon de pratiquer le fédéralisme », fait-on valoir. M. Caron, en étant contre la loi 62 mais pour l’autonomie du Québec de légiférer en la matière, démontre qu’il respecte véritablement le Québec, estime-t-on.