Ottawa dévoile son offensive en défense

Le ministre Harjit Sajjan a annoncé mercredi une bonification de 70% des budgets de la défense.
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Le ministre Harjit Sajjan a annoncé mercredi une bonification de 70% des budgets de la défense.

« C’est une belle journée pour être en uniforme », résumait le chef d’état-major de la Défense, Jonathan Vance. Et pour cause. Le gouvernement libéral promet des dizaines de milliards en nouvelles dépenses pour recruter des soldats, se doter de nouveaux avions de chasse et navires, de même que moderniser toute sa flotte militaire. La part importante de ces investissements se fera cependant attendre, puisque l’augmentation considérable n’arrive qu’au-delà de la prochaine élection, notent experts et opposition.

Le plan est ambitieux. La facture aussi. Les libéraux de Justin Trudeau s’engagent à bonifier de 70 % les budgets de la Défense nationale d’ici dix ans — pour passer de 18,9 milliards cette année à 32,7 milliards en 2026. Sur 20 ans, ce sont 62 milliards en fonds nouveaux qui sont prévus. « Cela n’inclut pas le coût de grandes opérations futures », a en outre expliqué le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, en présentant son plan de match des deux prochaines décennies.
 

 

Invité à de nombreuses reprises à préciser où il trouverait ces sommes importantes, le ministre n’a jamais offert de réponse en point de presse mercredi. « On prend l’engagement de dépenser ces sommes-là pour nous assurer que nous allons respecter les engagements qu’on prend aujourd’hui », a offert en guise de réponse le ministre des Transports, Marc Garneau, qui l’accompagnait pour dévoiler les conclusions de la révision de la politique de défense menée par le gouvernement libéral depuis un an. « Ces détails-là, pour l’argent pour les dix et vingt prochaines années, seront des choses qui vont être définies plus tard », a tranché M. Garneau.

Or, plusieurs restent sceptiques et craignent que les promesses ne se concrétisent pas avec le temps. David Perry, analyste en défense à l’Institut canadien des affaires mondiales, s’est dit « agréablement surpris » de voir une bonification des budgets encore plus ambitieuse qu’espéré. Mais reste que la grosse part des sommes ne sera pas versée avant quatre ans, soit après la prochaine élection de 2019.

« Il y a encore pas mal d’incertitude quant à ce qui va réellement se passer, a-t-il dit au Devoir. Bien des choses peuvent se passer en quatre ans. » M. Perry se souvient que l’autre ambitieux programme — la stratégie de défense « Le Canada d’abord » des conservateurs de Stephen Harper — promettait lui aussi 20 ans d’investissements. Vingt mois après son annonce en grande pompe, les promesses ont été revues à la baisse. « Il y a un gros risque que ça n’arrive pas », a prévenu M. Perry.

Toujours pas le 2 %

Le gouvernement Trudeau a en outre beau s’engager à accroître ses dépenses en défense, celles-ci ne représenteront toujours que 1,4 % du PIB du pays dans dix ans — soit toujours en deçà du fameux 2 % que l’OTAN invite ses pays membres à consacrer à leur armée. Donald Trump martèle depuis des mois que ses homologues devront ajuster le tir. Le Canada figure présentement au sixième rang des pays les plus dépensiers de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, alors que ses investissements oscillent autour de 1 % du PIB depuis 2006. Les libéraux arguent toutefois que le calcul était injuste, puisque le Canada ne comptabilisait pas certaines dépenses relevant d’autres ministères qui comptent pourtant dans le total d’autres pays.
 

 

La hausse budgétaire risque donc de décevoir malgré tout le président américain. « C’est une décision souveraine de notre pays de décider combien de ressources allouer à la défense nationale », a rétorqué le ministre Garneau.

Plus d’avions de chasse

Son collègue à la Défense a par ailleurs annoncé qu’il achèterait non pas 65 nouveaux avions de chasse, mais 88 appareils — la facture prévue pour l’acquisition passe du coup de 9 milliards à 15 à 19 milliards. Les libéraux comptaient se procurer une flotte intérimaire de 18 Super Hornet le temps de mener un appel d’offres pour remplacer les 77 appareils CF-18. Une option toujours envisagée, ont indiqué des fonctionnaires mercredi sans fournir plus de détails.

La facture d’achat de 15 navires de guerre a elle aussi bondi — alors qu’elle était estimée à 26 à 40 milliards, elle risque plutôt d’atteindre 56 à 60 milliards. « Pas jusqu’à 15 [navires], et pas 12. Et assurément pas 6 », a lancé, enthousiaste, le ministre Sajjan aux troupes réunies pour son annonce dans un réfectoire militaire d’Ottawa.

Les conservateurs ont accusé les libéraux de n’avoir rien de mieux à offrir qu’un « show de boucane ». « La majorité du financement est promise dans la prochaine décennie », a critiqué le député Pierre Paul-Hus. Le premier ministre Justin Trudeau s’est targué de faire les « investissements nécessaires » pour pallier le sous-financement et les « paroles vides de l’ancien gouvernement ».

Autres annonces

 

La participation canadienne à une mission de paix n’a toujours pas été annoncée par le ministre. « Nous n’avons pas encore pris de décision. »

M. Sajjan a en revanche fait savoir que l’armée de l’air serait dotée de drones armés pour ses efforts de surveillance et de combat, et que ses appareils de surveillance Aurora seraient remplacés. La Défense comptera davantage de cyberopérateurs qui pourront — si le gouvernement leur en donne la permission — mener des opérations offensives de perturbation contre des menaces potentielles.

La défense recrutera 3500 nouveaux militaires pour la Force régulière (pour un total de 71 500 membres), 1500 réservistes (pour atteindre 30 000 membres), 605 pour les forces spéciales et ajoutera jusqu’à 120 postes militaires et 180 postes civils dans le domaine du renseignement. L’armée canadienne s’engage à compter 25 % de femmes dans ses rangs d’ici 2026 — en bonifiant leur part de 1 % par année d’ici là.
 

Le budget révisé

Les hausses les plus importantes se feront surtout vers les dernières années, comme le montre ce tableau. Les chiffres correspondent à des milliards de dollars, et le montant entre parenthèses est le budget révisé.
 
2016 +0,0 (18,9)
2017 +2,1 (20,7)
2018 +1,2 (21,4)
2019 +2,2 (21,7)
2020 +4,8 (24,3)
2021 +5,9 (25,3)
2022 +6,1 (26,0)
2023 +9,4 (29,9)
2024 +10,5 (31,7)
2025 +10,3 (31,9)
2026 +10,3 (32,7)


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