Place à la coalition postélection chez les conservateurs

Les conservateurs sauront samedi prochain lequel des treize candidats à la succession de Stephen Harper sera sacré leur nouveau chef. Au fil de la dernière année, les concurrents ont courtisé les militants conservateurs en espérant gagner leur appui. Mais celui ou celle qui remportera la mise devra rapidement se tourner vers sa prochaine bataille en vue de l’élection dans moins de deux ans, préviennent des stratèges, en se réconciliant avec les rivaux et les conservateurs qui ne l’auront pas appuyé tout en séduisant le reste de l’électorat canadien.
Les dés sont presque joués. La plupart des 260 000 membres qui se prévaudront de leur droit de vote devraient déjà avoir envoyé leur bulletin par la poste afin de s’assurer qu’il soit bel et bien entre les mains du parti d’ici la date butoir de vendredi. Une douzaine de bureaux de scrutin seront ouverts samedi prochain dans diverses provinces, dont un notamment à Montréal. Mais le Parti conservateur prévoit qu’environ 80 % des votes se feront auparavant par la poste.
Les prétendants ont présenté leurs idées aux militants, en allant à leur rencontre, via les médias sociaux, ou lors des difficiles débats à treize candidats. Les enjeux sont connus. Une fois l’élection passée, le vrai travail ne fera que commencer. « Personne ne devient chef du parti comme par magie, arguait cette semaine la chef intérimaire, Rona Ambrose, dans l’un de ses derniers discours à la tête du parti. Celui ou celle qui occupera ce poste va sans aucun doute passer du temps à apprendre, à écouter et à travailler fort. Je l’ai fait, Stephen Harper l’a fait, et nos prédécesseurs l’ont fait. »
Le premier défi sera de conserver l’unité du caucus et de la famille conservatrice, surtout au terme d’une course qui aura compté de nombreux députés parmi les candidats, mais aussi dans les équipes des aspirants chefs. « Il va falloir beaucoup de patience, tant du côté du vainqueur que de celui des perdants », prévient Michele Austin, qui a été chef de cabinet de Mme Ambrose et de Maxime Bernier lorsqu’ils étaient ministres dans le gouvernement de Stephen Harper. Elle suggère au prochain chef de faire une place à ses rivaux non seulement dans son équipe parlementaire, mais aussi de s’inspirer de certaines de leurs idées politiques proposées pendant la course.
Une plateforme pour tous
Le successeur de Stephen Harper devra en outre élargir son offre politique au-delà des dossiers de prédilection des conservateurs.
« Les candidats ont parlé d’idées politiques propres au créneau de la base conservatrice. Et c’est important, dans le contexte d’une course à la chefferie, parce que vous voulez démontrer que vous avez des idées véritablement conservatrices », explique Rachel Curran, qui a été directrice des politiques pour Stephen Harper et qui est maintenant associée au sein de la firme de consultants de l’ancien premier ministre. Les treize concurrents ont amplement parlé de réductions d’impôt, de loi et d’ordre, d’équilibre budgétaire.
« Ce qu’ils n’ont pas fait, cependant, c’est de présenter un projet pour le pays, une plateforme qui attirerait les Canadiens au-delà de la base », argue Mme Curran, en notant qu’un aspirant premier ministre doit discuter de toute la gamme d’enjeux fédéraux — la santé, l’unité nationale, les Premières Nations ou l’environnement, dont seul le progressiste du groupe Michael Chong a fait un élément central de sa campagne.
Le prochain chef devra cerner la coalition d’électeurs qu’il espère convaincre en 2019 — une coalition qui ne sera pas nécessairement la même que celle qui a élu une majorité conservatrice en 2011 et qui n’était plus au rendez-vous en 2015, prévient Rachel Curran.
S’adapter pour gouverner
Lorsque le gagnant aura choisi son menu politique, il devra savoir le communiquer et l’adapter au besoin. « Le nouveau chef devra prendre en compte le fait que nous sommes un parti très varié, aux idées divergentes », prévient l’ancienne sénatrice Marjory LeBreton. Des progressistes-conservateurs comme Michael Chong côtoient des libertariens comme Maxime Bernier ou des conservateurs sociaux et pro-vie comme Brad Trost ou Pierre Lemieux.
« En fin de compte, vous devez en venir à un consensus et respecter les idées de tout le monde. Vous devez gouverner où les gens veulent être gouvernés. Vous ne pouvez pas tirer les gens là où ils ne veulent pas aller », fait valoir Mme LeBreton, qui oeuvre au Parti conservateur depuis des décennies et qui y a épaulé tant John Diefenbaker que Brian Mulroney.
Les candidats ont bien fait de miser sur des idées plus audacieuses, selon Mme Curran. « Être trop prudent, à cette étape-ci, c’est dangereux. […] Les membres voient bien que le parti ne peut pas simplement rester où il se trouve depuis que M. Harper était chef. »
Mais ces promesses qui bousculent le programme politique devront être soutenues par les militants conservateurs, qui se réuniront en congrès politique en 2018. Une tâche à laquelle le chef ne pourra pas échouer. « Vous ne serez jamais premier ministre si vous n’arrivez pas à faire approuver vos idées par votre parti », note Michele Austin, qui est aujourd’hui à la firme de consultants Summa Strategies.
L’abolition de la gestion de l’offre promise par Maxime Bernier fera-t-elle l’unanimité, dans un congrès conservateur ? Rachel Curran avoue qu’il est difficile de le prédire, car le membrariat semble partagé sur la question. Mais à son avis, si M. Bernier reculait sur cette promesse phare, « cela nuirait à sa crédibilité ».
Haro sur le Québec
Le Parti conservateur accorde pour le vote un poids égal à toutes les circonscriptions (100 points), ce qui rend le Québec indispensable dans la course. Avec ses 78 circonscriptions, sur les 338 du pays, la Belle Province compte 7800 des 33 800 points en jeu pour le vote.
Le Québec sera aussi incontournable si le parti souhaite remporter la prochaine élection, consentent les stratèges. Or, les conservateurs voient d’un bon oeil que le nombre de membres ait atteint un record pour leur parti dans la province, soit 16 700 membres. « Pour la première fois depuis longtemps, les conservateurs sentent qu’il y a plus d’intérêt au Québec à pencher plus à droite », se réjouit Michele Austin.
L’optimisme est le même pour le reste du pays, car le Parti conservateur est en bonne posture dans les sondages et sur le plan du financement, arguait cette semaine Rona Ambrose. « Peut-être que Justin Trudeau sera un premier ministre d’un seul mandat », suggérait-elle à ses troupes.
La trudeaumanie n’est pas infaillible, note à son tour Marjory LeBreton, en se souvenant qu’à l’élection de 1972, le conservateur Robert Stanfield avait perdu en ne récoltant que deux sièges de moins que le chef libéral de l’époque… l’autre très populaire Trudeau.
Ce texte fait partie de notre section Perspectives.