Ottawa sommé de revoir sa collaboration avec Washington

Les promesses d’accueil de Justin Trudeau aux réfugiés, sur Twitter, ne suffiront pas à rassurer les défenseurs des demandeurs d’asile. Le premier ministre est sommé de renier une entente bilatérale avec les États-Unis, car les décrets adoptés par le président Trump « mettent en jeu la vie » de réfugiés, craignent des organismes et des avocats en immigration.
« Il faut que ses discours soient suivis de mesures concrètes. […] C’est très louable, ses prises de position des derniers jours sur la défense des réfugiés. Mais il faut des actions concrètes », a réclamé Béatrice Vaugrante, directrice générale de la section francophone d’Amnistie internationale.
M. Trudeau a rapidement commenté sur Twitter la signature par Donald Trump d’un décret interdisant l’arrivée de ressortissants de sept pays musulmans, de même que la suspension de toute admission de réfugiés aux États-Unis pendant trois mois et celle de réfugiés syriens pour une durée indéterminée. « À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera indépendamment de votre foi. La diversité fait notre force », écrivait-il dans un tweet samedi.
Mais Mme Vaugrante souhaiterait que ces paroles rassurantes soient accompagnées d’une mesure politique.
Le gouvernement canadien compte, depuis 2004, une entente sur les « tiers pays sûrs » avec les États-Unis. En vertu de celle-ci, tout demandeur d’asile arrivant au Canada via les États-Unis se doit de présenter sa demande aux États-Unis puisqu’il s’agit du premier pays sûr dans lequel il est arrivé. Impossible de déposer une nouvelle demande en sol canadien. Le site Internet d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada stipule que « seuls les pays qui respectent les droits de la personne et offrent une solide protection aux demandeurs d’asile peuvent être désignés tiers pays sûrs. À ce jour, les États-Unis sont le seul tiers pays sûr désigné ».
Or, avec les nouvelles politiques du président Trump, « cette entente n’a aucune base légale et elle est inhumaine et cruelle », s’est indignée Béatrice Vaugrante. Car les États-Unis, « en ce moment, dans leur processus d’accueil des réfugiés ne respectent pas le droit international des droits de la personne».
Amnistie internationale n’est pas le seul organisme à avoir invité Ottawa à ajuster cette politique d’immigration. Le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) et l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration appellent eux aussi le premier ministre et son nouveau ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Ahmed Hussen, à retirer le titre de « tiers pays sûr » aux États-Unis. « C’est seulement la première semaine de la nouvelle administration aux États-Unis, mais il ne faut pas attendre que tous les méfaits soient en place avant d’en prendre acte, a fait valoir au Devoir la présidente du CCR, Janet Dench. Ce serait plus sécuritaire pour tout le monde d’agir avant, simplement en se rendant compte que l’orientation actuelle ne peut pas donner confiance [sur le fait] que les États-Unis vont protéger les droits des demandeurs d’asile. »
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés exige justement « l’examen continu de tous les pays désignés à titre de tiers pays sûrs, pour veiller à ce que les conditions ayant mené à ladite désignation soient toujours réunies ». Et pour cause, « si le Canada renvoie quelqu’un aux États-Unis qui est ensuite renvoyé vers la persécution, on partage la responsabilité », a souligné Mme Dench.
Le bureau du ministre Hussen n’a pas répondu au Devoir, lundi. Les collègues du ministre Hussen se sont abstenus de répondre aux demandes d’Amnistie internationale, du CCR et des avocats en immigration, renvoyant tous le dossier à M. Hussen.
Manifestation d’appui aux réfugiés
Le secrétaire général d’Amnistie internationale, Alex Neve, craint en outre que la politique du président Trump « envoie le message que la haine est acceptable, qu’il est acceptable de faire de la discrimination. Cela donne la permission à d’autres gouvernements ailleurs d’emboîter le pas », a-t-il estimé, en marge d’une manifestation ayant réuni quelques centaines de personnes devant l’ambassade américaine à Ottawa pour dénoncer le décret antimigratoire du président Trump.
Le CCR souhaiterait par ailleurs qu’Ottawa augmente ses cibles d’accueil de demandeurs d’asile pour compenser les changements apportés par l’administration américaine. Le CCR réclame même que le Canada réinstalle en urgence tous les réfugiés qui avaient été autorisés à immigrer aux États-Unis, mais qui font maintenant les frais du décret du président.
Le fédéral a prévu pour 2017 l’accueil de 7500 réfugiés parrainés par le gouvernement et 16 000 parrainés au privé. « Un niveau historique », a argué le ministre Hussen aux Communes.
Au chef du NPD, Thomas Mulcair, qui souhaitait savoir si les libéraux offriraient une « aide permanente aux milliers de réfugiés qui sont maintenant interdits de séjour aux États-Unis », le premier ministre Trudeau a rétorqué qu’il avait demandé au ministre Hussen « de considérer les différentes façons dont nous pouvons aider ».
Le dossier doit justement être débattu aux Communes ce mardi soir, puisque le président de la Chambre a accepté la demande de débat d’urgence présentée lundi par le NPD.