Éthique électorale: le DGE met en garde contre le zèle

Marc Mayrand a été à la tête d’Élections Canada une décennie. Il quittera ses fonctions à la fin de l’année.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne Marc Mayrand a été à la tête d’Élections Canada une décennie. Il quittera ses fonctions à la fin de l’année.

Le directeur général des élections du Canada (DGE), Marc Mayrand, admet que les cocktails de financement auxquels participent des ministres libéraux ou Justin Trudeau peuvent susciter des questions d’éthique. Mais il met en garde contre la tentation de vouloir répondre à cette préoccupation par un resserrement excessif des règles. Non seulement les partis politiques ont besoin d’argent pour se financer, dit-il, mais il est sain pour la vitalité démocratique qu’une partie de ce financement provienne des citoyens et non de l’État.

Marc Mayrand quittera ses fonctions à la fin de l’année après presque 10 ans passés à la tête d’Élections Canada. Au cours d’une entrevue-bilan avec Le Devoir jeudi, il n’a pu éviter la question des activités de financement qui font les manchettes.

« Tout le monde est devenu conscient qu’il y a à tout le moins une perception d’éthique, de possible conflit d’intérêts, mais je ne suis pas sûr que ce soit une question électorale », dit-il. Mais il rappelle qu’il n’y a pourtant rien de nouveau sous le soleil.

« Les “ticketed events[événements avec un prix d’entrée], il y en a tout le temps, il y en a partout, tous les partis, toutes les campagnes font ça. Il faut que les partis politiques génèrent des fonds. Une campagne électorale au Canada, c’est plus de 20 millions de dollars. Et les partis doivent se maintenir entre les élections, alors ils ont besoin de fonds. »

En Ontario, où la première ministre libérale Kathleen Wynne et son équipe ministérielle ont fait face à des critiques similaires, un projet de loi fera en sorte que les élus et les candidats ne pourront plus participer à des événements de financement. Selon M. Mayrand, ce n’est pas la voie à suivre.

Contournements

 

« Il faut être prudent. On peut bien resserrer les règles, mais si les partis se sentent asphyxiés, il y a des gens qui vont dire on va contourner, on va trouver une autre façon », dit-il après avoir rappelé l’adage voulant que « l’argent, c’est comme de l’eau : ça trouve toujours son conduit ». Il ne connaît pas de précédent. « Just in Canada. Je ne connais pas d’endroit où on interdirait aux politiciens d’assister à des activités de financement. Je trouve étonnant qu’on en soit rendu à penser à ce genre de règles-là. »

Selon Marc Mayrand, les événements de financement ont leur valeur dans le système démocratique : ils maintiennent un lien entre les politiciens et les gens qu’ils représentent. « Il faut que les partis soient redevables à leurs membres. Ça impose une discipline de savoir qu’il y a du financement privé, que des gens sont prêts à payer parce qu’ils croient aux idées d’un parti. »

C’est la même préoccupation qui l’anime lorsqu’on l’invite à commenter le système québécois, qui limite à 100 $ les dons des particuliers et compense les pertes par d’importantes subventions étatiques. Il refuse de poser un jugement définitif, le modèle étant encore trop jeune, mais il trouve difficile de se faire à l’idée « qu’un parti politique devienne soudainement à la merci financière de l’État ». Il trouve « assez étonnant de faire en sorte que les partis politiques dans ces régimes-là deviennent pratiquement des entités de l’État. Dans un autre contexte, on serait bien inquiet… »

M. Mayrand n’est pas contre la restauration de la subvention versée aux formations (qui a existé de 2004 à mars 2015 au fédéral, à raison de 2 $ par vote obtenu), pour peu que le financement privé reste significatif. De manière générale, il se dit « un peu inquiet de la viabilité financière des partis politiques. Plus que depuis cinq ans. Je regarde les tendances […] et je ne suis pas certain qu’il y en a assez pour tout le monde pour survivre. »

Bilan

 

Marc Mayrand recouvrera son droit de vote en 2017 (le directeur général des élections est le seul Canadien à ne pas avoir droit de vote au pays). Lorsqu’il regarde le chemin parcouru pendant son mandat, il constate à quel point la Loi électorale a été à maintes reprises modifiée et débattue. Loin d’y voir une politisation des lois électorales, il estime que cela est « sain ». « Cela témoigne d’une certaine vitalité, d’un certain souci d’amélioration constant. »

Pendant son règne, les scandales n’auront pas manqué, que ce soit le financement « in and out » conservateur ou les appels robotisés frauduleux. Sans compter le débat sur le port du voile. Tous ces moments ont été difficiles, Élections Canada ayant été prise à partie. « Il faut se développer une carapace. […] C’est un peu malheureux que les institutions démocratiques soient l’objet parfois des joutes politiques. »


Strahl rompt avec Trudeau

La controverse sur les cocktails de financement libéraux a fait une première « victime » collatérale : l’ex-ministre conservateur Chuck Strahl, qui siégeait au comité de gouvernance de la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau, a démissionné. La Fondation a obtenu en juin un généreux don d’un haut responsable chinois qui avait assisté un mois plus tôt à un dîner à 1500 $ le couvert en compagnie du premier ministre Justin Trudeau. Devant les critiques de l’opposition, le gouvernement a fait valoir que la Fondation était apolitique. À preuve, la présence de M. Strahl — et de l’ex-députée néodémocrate Megan Leslie — à son conseil d’administration. Selon le Globe and Mail, M. Strahl écrit dans sa lettre de démission qu’il ne permettra pas aux libéraux de se servir de son nom pour cautionner leurs activités de financement politique.


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