Ottawa annule la réforme conservatrice

Le gouvernement Trudeau annule les resserrements conservateurs à la Loi électorale. Et il en profite du même coup pour élargir le droit de vote : tous les Canadiens expatriés pourront désormais voter, et les jeunes adolescents seront invités à se préinscrire à la liste électorale.
« Les jeunes Canadiens ont voté en grand nombre en 2015, par rapport à 2011. Mais on ne peut pas tenir ça pour acquis », a fait valoir la ministre des Institutions démocratiques, Maryam Monsef, en présentant sa réforme de la Loi électorale jeudi.
Ses fonctionnaires ont noté que seuls environ 60 % des jeunes qui viennent d’atteindre l’âge de la majorité sont inscrits à la liste électorale, contre 90 % du reste des électeurs. Pour y remédier, Élections Canada créerait, en vertu du projet de loi C-33, un nouveau registre des futurs électeurs permettant aux jeunes de 14 à 17 ans de se préinscrire en vue de l’obtention de leur droit de vote. Leur inscription à la liste électorale fédérale se ferait ensuite automatiquement à leur 18e anniversaire. Ottawa fait le pari que ces jeunes seront sensibilisés à cette nouvelle possibilité dans leurs cours d’éducation citoyenne.
Le Directeur général des élections retrouvera par ailleurs son droit de parole. Les libéraux annuleraient l’interdiction pour le DGE — instaurée par les conservateurs — de faire des campagnes d’éducation en vue d’un scrutin. Le DGE ne pouvait, depuis 2014, que s’adresser aux jeunes du primaire et du secondaire. Son mandat d’éducation populaire serait désormais « sans restriction ».
Vote pour tous à l’étranger
Le gouvernement Trudeau souhaite en outre permettre à tout expatrié citoyen canadien de conserver son droit de vote à vie. Depuis 1993, un Canadien vivant à l’étranger perdait le droit de vote après cinq ans d’absence. Et il devait déclarer son intention de revenir au pays. Avant cette date, les Canadiens perdaient carrément leur droit lorsqu’ils quittaient le Canada.
Mais les libéraux proposent qu’à l’avenir, tout citoyen canadien né ou ayant vécu au Canada puisse continuer de voter depuis l’étranger. La limite de cinq ans était « relativement arbitraire », selon la ministre Monsef. Ottawa estime qu’un million de personnes pourraient désormais voter en en faisant la demande auprès du fédéral.
Le gouvernement britannique prévoit de déposer un projet de loi pour prolonger à vie le droit de vote de ses expatriés. Les Britanniques perdent présentement ce droit après 15 ans d’absence. Les Américains conservent leur droit de vote à vie. La France permet à ses citoyens de voter, qu’ils aient habité ou non l’Hexagone.
Élections Canada procédera en revanche à un nettoyage de sa liste d’électeurs, qui comptait à peu près 40 000 non-citoyens en date du dernier dénombrement en 1997.
Annulation
La réforme électorale conservatrice de 2014 avait fait grand bruit car elle modifiait la façon d’identifier les électeurs, ayant pour effet de restreindre l’accès au droit de vote. La carte d’information de l’électeur (CIE) — ce carton envoyé par la poste par Élections Canada sur lequel figurent le nom et l’adresse du résidant — n’était plus acceptée comme document d’identité. Les conservateurs plaidaient que ces cartes se retrouvaient parfois par dizaines dans les boîtes de recyclage d’édifices locatifs, accessibles à tous, y compris aux gens mal intentionnés. Élections Canada avait rejeté l’allégation, notant que la CIE était surtout utilisée par les électeurs pour établir leur adresse. Le Canada est un des rares pays à exiger qu’un électeur prouve à la fois son identité et son adresse, mais seuls 2 des 39 documents d’identification acceptés comportent ces deux éléments (dont le permis de conduire, que 15 % des électeurs ne détiennent pas). Les libéraux accepteraient à nouveau la CIE comme preuve d’identité.
Serait aussi restauré le système des répondants — ces électeurs qui certifient connaître un autre électeur dépourvu de pièces d’identité et lui permettent ainsi de voter. Les conservateurs disaient que plusieurs erreurs administratives étaient commises, ce qui ouvrait la porte à de la fraude. Les libéraux veulent permettre à un répondant de certifier l’identité d’un citoyen, mais pour seulement un électeur qui vote dans la même section de vote que lui. Un électeur ayant eu recours à un répondant ne pourrait pas à son tour répondre de quelqu’un d’autre.
Un sondage de Statistique Canada a conclu, début 2016, qu’environ 172 000 électeurs n’ont pas voté au dernier scrutin fédéral par manque de pièce d’identité.
Enfin, les libéraux annulent une autre décision conservatrice de faire passer le Commissaire aux élections sous l’autorité du Directeur des poursuites pénales plutôt que celle d’Élections Canada.
Et le mode de scrutin ?
Selon le conservateur Blake Richards, la ministre Monsef ne présente rien de plus qu’une « distraction », alors que le Comité sur la réforme électorale se prépare à déposer la semaine prochaine ses recommandations. « On ne voudrait pas que ça serve de diversion pour ne pas respecter la promesse fondamentale de changer le mode de scrutin », a renchéri Alexandre Boulerice du NPD.
« Ça prendrait quelque chose de pas mal plus substantiel pour penser qu’on va oublier qu’ils [les libéraux] ne veulent pas aller de l’avant », a commenté le bloquiste Luc Thériault. Le Bloc rejette la reconnaissance de la carte d’information de l’électeur comme preuve d’identité. Mais autrement, il appuie à première vue, comme le NPD, le projet de loi C-33.