Les conservateurs haussent les impôts de 1,7 milliard

La lutte de pouvoir que se livrent les sénateurs partisans et indépendants à la Chambre haute a eu une conséquence directe et brutale mardi : elle a compromis les réductions d’impôt de Justin Trudeau qui étaient pourtant au coeur de la campagne électorale. Les conservateurs ont usé de leur majorité artificielle pour modifier les paliers d’imposition de sorte que les contribuables verseront, au net, 1,7 milliard de dollars de plus au trésor fédéral.
Les libéraux ont modifié dès le 1er janvier dernier les taux d’imposition de sorte que les revenus compris entre 45 000 $ et 90 000 $ sont désormais imposés à 20,5 % plutôt qu’à 22 %. Mais la loi qui avalise ce changement — C–2 — n’est pas encore adoptée (ce qui n’est pas exceptionnel pour ce genre de mesures fiscales). Elle doit encore passer le test du Sénat.
Or, mardi, les conservateurs ont profité de leur majorité au Comité sénatorial des finances pour amender le C-2 de sorte que le taux d’imposition pour certains revenus est réduit encore plus, à 16,5 %. Mais ! Les conservateurs ont aussi instauré une nouveauté dans le système fiscal canadien : les contribuables seront imposés différemment sur leurs revenus compris entre 45 000 $ et 90 000 $ selon que leurs revenus totaux dépassent ou pas ce plafond. Si un contribuable gagne plus de 90 000 $, la portion de ses revenus comprise dans la fourchette ci-dessus mentionnée sera imposée à 22 %, et non aux taux réduits.
Le sénateur conservateur Larry Smith, qui a piloté ce changement, le justifie par le fait qu’il est injuste de faire bénéficier les plus riches des baisses d’impôt libérales. La sénatrice Diane Bellemare, une spécialiste des relations de travail, a rétorqué qu’un tel changement risque de créer des inégalités entre les travailleurs.
« Cela aura un impact sur le comportement des travailleurs. Les gens vont avoir tendance à ne pas vouloir augmenter leurs revenus au-delà d’un certain montant parce que cela fera diminuer leur paye nette », a-t-elle martelé. L’indépendant André Pratte a qualifié la mesure d’« irresponsable » parce que déposée à la dernière minute. « Être une chambre de réflexion ne consiste pas à faire des calculs sur une napkin », a-t-il lâché.
Rien n’y a fait. Le changement est allé de l’avant grâce à l’appui des huit conservateurs siégeant au comité et de l’indépendante Anne Cools.
Guerre de pouvoir au Sénat
Le changement illustre la lutte de pouvoir qui se déroule en sourdine au Sénat. Les conservateurs n’y détiennent plus la majorité, avec 40 sièges sur 105. Les nominations de Justin Trudeau ont gonflé les rangs des indépendants à 44. Ils réclament plus de pouvoir. En attendant la fin des négociations, les conservateurs détiennent encore une majorité dans tous les comités sénatoriaux. Larry Smith préside celui des Finances.
« Le vote n’est pas légitime parce qu’il s’appuie sur une composition du comité qui est une aberration et qui ne reflète pas la nouvelle composition du Sénat, a déploré le sénateur indépendant Grant Mitchell. Cela donne aux conservateurs au comité une majorité qu’ils ne méritent pas et qui ne se justifie pas. »
En outre se pose la question de la légitimité du Sénat non élu de torpiller une promesse électorale phare du Parti libéral. Selon M. Pratte, il faut restaurer le régime fiscal de M. Trudeau parce que c’est « celui qui est légitime en vertu du résultat de l’élection ».
Si le Sénat dans son entier avalise le changement, C-2 devra revenir à la Chambre des communes pour approbation. Cela amorcera une partie de ping-pong législatif comme cela s’était produit au printemps avec le C-14 sur l’aide médicale à mourir.
Ironiquement, le geste conservateur aura pour effet d’augmenter le fardeau fiscal des contribuables. En effet, le plan fiscal libéral entraînait un coût net de 1,7 milliard par année. Or, le sénateur Larry Smith se targue de ce que son plan se fera « à coût nul ». Néanmoins, il a refusé d’admettre — sans expliquer cette quadrature du cercle — la hausse fiscale.
La chef du Parti conservateur, Rona Ambrose, a refusé de dire si sa formation — pourtant farouchement opposée aux impôts — endossait cette mesure. « Je ne contrôle pas le Sénat », s’est-elle bornée à dire. Les sénateurs conservateurs siègent encore au caucus du parti.