Du Cuba de Diefenbaker aux Castro des Trudeau

Pierre Elliott Trudeau en compagnie de Fidel Castro à La Havane, le 27 janvier 1976
Photo: Fred Chartrand La Presse canadienne Pierre Elliott Trudeau en compagnie de Fidel Castro à La Havane, le 27 janvier 1976

En janvier 1976, lorsque le premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, visite Cuba, il donne une occasion en or au régime Castro de normaliser ses relations avec un État nord-américain. Le leader maximo n’est évidemment pas sans le savoir. Il livre au premier ministre canadien son numéro de charme durant son séjour de trois jours.

Dans ses mémoires publiés en 1993, Trudeau père ne cache pas avoir été tout à fait séduit : « j’ai découvert un aspect de l’homme que ses harangues enflammées ne laissaient pas deviner ». Le magnétisme de Fidel Castro opère sur lui comme sur bien d’autres. « Il donnait l’impression d’un homme réfléchi. » Il pose des questions. Laisse Trudeau parler. Rien de l’homme habitué à livrer des harangues de plusieurs heures. Castro sait depuis longtemps déjà recevoir et charmer ses visiteurs de marque.

Le président cubain a besoin d’appuis internationaux. Il le sait. Ce n’est pas le révolutionnaire chez qui quelques membres du Front de libération du Québec sont allés chercher refuge qui accueille le premier ministre du Canada, mais bien un chef d’État parfaitement au fait des exigences du grand ballet des relations internationales.

Le premier de l’OTAN

Trudeau est alors le premier dirigeant de l’OTAN à se rendre sur l’île depuis le coup d’État de 1959. Il est accompagné de sa jeune épouse, Margaret, et de leur nouveau-né Michel, âgé de tout juste 4 mois. Castro prend volontiers le petit Michel dans ses bras, ce qui enlève d’emblée un côté officiel à cette visite. « Trudeau était tout à fait prêt à explorer n’importe quoi. C’était un homme curieux », explique son biographe Max Nemni au Devoir à propos de cette visite.

Photo: Fred Chartrand La Presse canadienne Fidel Castro tenant Michel Trudeau dans ses bras

Castro va ensuite inviter la famille Trudeau sur une petite île qui leur sert de base commune pour pratiquer la plongée et la chasse sous-marine. Margaret se prend vite à discuter au bord de l’eau avec le président, puis se fait photographier un gros cigare à la bouche, à côté d’un Castro en treillis militaire. Stephen Clarkson et Christina McCall, les biographes de Trudeau, indiquent même qu’elle adorait flirter avec lui.

Mais ce n’est évidemment pas les seuls charmes d’un bébé de quatre mois et de la pêche sous-marine qui chauffent le feu de cette relation. Elle est à replacer dans une perspective géopolitique plus large dont les suites se poursuivent en fait jusqu’à nos jours.

En 1962, lors de la crise des missiles, le premier ministre canadien John Diefenbaker avait refusé de suivre la politique américaine du président Kennedy à l’égard de Cuba. Le 22 octobre de cette année-là, Diefenbaker avait même demandé à Washington des preuves supplémentaires quant à la présence de missiles soviétiques sur l’île, tout en se refusant de provoquer, selon sa perspective, l’Union soviétique.

Pour Pierre Elliott Trudeau, la politique de Diefenbaker à l’occasion de cette crise offrait un bel exemple de l’indépendance que pouvait avoir le Canada à l’égard des États-Unis. À l’heure aujourd’hui d’un durcissement possible des relations entre le Cuba de Raoul Castro et les États-Unis de Donald Trump, Justin Trudeau s’apprête-t-il à offrir une suite à cette politique dont son père se faisait en 1976 le porte-voix ?

Tourisme canadien

 

En 1993, Pierre Elliott Trudeau écrit que le président cubain « exerçait un magnétisme peu commun », tout en précisant que « sa longue barbe témoignait de ses opinions extrémistes ». C’est à la barbe de Trudeau que Castro le berce en tout cas sur la nature de l’engagement militaire cubain en Angola en 1976. À son retour au pays des érables, Trudeau sera mis au fait de versions différentes de celle offerte par le président cubain. Trudeau n’aura d’autre choix alors que d’interrompre l’aide au pays.

Mais sur le plan personnel, les deux hommes continueront de se revoir, tandis que le tourisme canadien sur l’île devient peu à peu une source de revenus appréciable pour le pouvoir en place. Un des très proches amis de Trudeau, le sénateur Jacques Hébert, passait beaucoup de temps dans cette île des Caraïbes. « Pour Hébert et lui, explique le biographe Nemni, Cuba était un pays autoritaire, mais Castro avait néanmoins fait de très bonnes choses pour son peuple ».

Le 3 octobre 2000, lors des funérailles de Pierre Elliott Trudeau, parmi les proches rassemblés pour cette occasion à la basilique Notre-Dame, on trouvait notamment Fidel Castro, non loin d’un certain Leonard Cohen.

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