L’Île-du-Prince-Édouard comme présage?

La chose est passée un peu inaperçue tant l’attention de la planète était dirigée vers l’élection présidentielle de nos voisins du Sud. Néanmoins, le plébiscite de lundi à l’Île-du-Prince-Édouard sur la réforme électorale a attiré l’attention de ceux qui, à Ottawa, planchent sur une refonte du mode de scrutin. La tentation est forte, dans tous les camps, de s’en inspirer… pour des raisons différentes.
Le référendum n’a pas suscité les passions : à peine 36 % des électeurs, ou 37 040 personnes, se sont prévalus de leur droit de vote. La représentation proportionnelle mixte est arrivée en tête avec 52 % des voix.
Victoire pour les réformistes ? Pas nécessairement. Dès le lendemain, le premier ministre de la province insulaire, Wade MacLauchlan, a déclaré qu’il était « peu convaincu que ces résultats [puissent] être présentés comme constituant l’expression d’une volonté claire des Prince-Édouardiens ». Il n’est donc pas acquis que le gouvernement ira de l’avant avec la réforme réclamée. Le plébiscite n’était d’ailleurs pas contraignant, a pris la peine de rappeler le premier ministre.
C’est que le bulletin de vote utilisé pour le plébiscite comprenait cinq systèmes électoraux que les électeurs ont dû numéroter par ordre de préférence : le statu quo, deux systèmes de représentation proportionnelle (mixte et à circonscriptions binominales), le vote préférentiel ainsi que le statu quo plus chef (système par lequel tous les partis obtenant au moins 10 % du suffrage feraient élire leur chef). Les options les moins populaires étaient rejetées une à une, et les seconds choix redistribués, jusqu’à ce qu’une des options obtienne 50 % des voix plus une.
Il aura fallu éliminer trois options pour qu’émerge un vainqueur. Le statu quo est en effet arrivé en tête au premier décompte, avec 31 % des suffrages contre 29 % pour la proportionnelle mixte. L’élimination du statu quo plus chef (l’option la moins populaire à 7,6 %) a, sans surprise, fait gonfler l’avance du statu quo à 36 %. Même scénario quand le vote préférentiel (11,5 %) a été écarté : le statu quo est alors passé à 40 % d’appuis.
La balance a penché dans l’autre direction lors du quatrième et dernier décompte, après l’élimination du système proportionnel à circonscriptions binominales. Les partisans de cette option se sont à 74 % rangés derrière le système proportionnel restant, qui l’a alors remporté.
Psyché électorale et Ottawa
Les résultats à l’Île-du-Prince-Édouard sont intéressants à décortiquer, car ils permettent de penser la réforme électorale en dehors d’une logique binaire : pour ou contre une réforme particulière. En effet, les référendums provinciaux passés n’avaient que soumis une réforme spécifique aux électeurs, qu’ils devaient soit soutenir, soit rejeter. Ainsi, les électeurs de la Colombie-Britannique ont rejeté en 2005 puis en 2009 le « vote unique transférable ». Ceux de l’Île-du-Prince-Édouard ont rejeté la proportionnelle mixte en 2005. Et les Ontariens ont aussi dit non à la proportionnelle mixte en 2007. Chaque fois, une interrogation fusait : en rejetant la réforme proposée, les électeurs embrassaient-ils pour autant le statu quo ?
À Ottawa, les résultats de lundi amènent ceux qui planchent sur une réforme électorale fédérale à tirer des conclusions, bien différentes selon le camp dans lequel ils se trouvent. Dans les coulisses gouvernementales, on souligne à gros traits que le plébiscite prouve qu’il est facile d’obtenir un consensus contre le système actuel (au premier décompte, 69 % des Prince-Édouardiens ont voté pour une forme ou une autre de système substitutif), mais beaucoup plus difficile de rallier une majorité en faveur d’une réforme en particulier (au premier décompte, la représentation proportionnelle mixte n’a recueilli que 29 % des voix totales, ou 42 % des voix réformistes).
On affirme que la ministre Monsef ne veut pas préjuger des résultats des consultations qui ont cours — et qui se poursuivront à grande échelle en décembre lorsque les 13 millions de foyers canadiens recevront une invitation à aller donner leur avis sur un site en ligne. Mais on indique aussi qu’elle a besoin d’un consensus quelconque en faveur d’un système particulier pour aller de l’avant avec une réforme et que, jusqu’à présent, elle n’a pas vu ce consensus.
Du côté du Nouveau Parti démocratique (NPD) et du Parti vert (PV), l’avis est diamétralement opposé. Nathan Cullen représente le NPD au comité parlementaire menant les consultations. « L’appui pour la proportionnalité est très fort. Pas pour un système spécifique, mais pour cette famille de systèmes », lance-t-il. Et le résultat de lundi à l’Île-du-Prince-Édouard vient confirmer cette tendance, à son avis. La chef du PV, Elizabeth May, abonde en ce sens : « Les citoyens ont choisi le système de vote proportionnel et ont rejeté le système actuel. »
De fait, si aucun système de remplacement ne s’est imposé au premier décompte du plébiscite, les deux systèmes proportionnels sont arrivés en seconde et troisième positions après le statu quo. Et à eux deux, ils ont obtenu un appui de 51,5 %. À mesure que les autres options du bulletin de vote étaient éliminées, les deux systèmes proportionnels ont toujours combiné un appui de plus de 50 %.
Cela fait dire au bloquiste Gabriel Ste-Marie que, « si le gouvernement va de l’avant avec une réforme, le choix doit être entre le statu quo et un système de cette forme-là ». Il note qu’à l’Île-du-Prince-Édouard, « le système qui est arrivé premier, c’est la forme de proportionnelle qui est la préférée des gens. […] Donc, si on va vers la proportionnelle, c’est celle-là qu’il faudrait avantager ».
Et un référendum fédéral ?
Le NPD tire une autre conclusion du plébiscite prince-édouardien : le vote préférentiel n’a pas la cote. Il a été écarté au second décompte, avec à peine 11,5 % des voix. Lorsqu’il était dans l’opposition, Justin Trudeau avait indiqué qu’il s’agissait de son système de prédilection. Les partis d’opposition le soupçonnent depuis le début des débats sur la réforme électorale de s’être déjà fait une tête. « L’appui pour ce système n’est pas très fort », note M. Cullen, qui juge que le vote préférentiel « perpétue » et même « amplifie » les lacunes du système majoritaire uninominal à un tour auxquelles on dit vouloir remédier avec une réforme. Il espère que le score décevant de cette option au référendum de lundi convaincra pour de bon le gouvernement de larguer cette solution.
Enfin, le Parti conservateur voit pour sa part un autre enseignement dans le référendum de lundi dernier : que les référendums ne servent pas nécessairement la cause du statu quo. Le Parti conservateur réclame sans relâche que toute éventuelle réforme soit soumise d’abord à un référendum pancanadien. Ses opposants comprenaient jusqu’à tout récemment ce désir comme une façon de militer pour le statu quo sans en porter l’odieux, tous les référendums provinciaux en faveur d’une réforme électorale ayant échoué. Plus maintenant, affirme le député Scott Reid, rayonnant.
Au Bloc, où on milite aussi pour un référendum mais de manière moins acharnée, on est d’accord. « Le NPD, le Parti vert et même les libéraux semblent peu ouverts à l’idée d’un référendum, faisant valoir que, chaque fois qu’il y en a eu un, ça ne passe pas, ça ne fonctionne jamais, c’est la façon de noyer le poisson et de rester avec le statu quo, rappelle M. Ste-Marie. Ben là, on a une preuve du contraire. »