Nouveau mode de scrutin: un «oui» à l’arraché

Le premier ministre libéral, Wade MacLauchlan
Photo: Andrew Vaughan La Presse canadienne Le premier ministre libéral, Wade MacLauchlan

Les Prince-Édouardiens ont parlé. Reste maintenant à savoir si leur gouvernement les écoutera… et si Ottawa s’en inspirera. La petite province insulaire a voté, au terme d’un plébiscite de 10 jours s’étant terminé lundi soir, en faveur d’une modification du mode de scrutin. La représentation proportionnelle l’a remporté, mais à l’arraché seulement, alors que le statu quo a livré une chaude lutte.

Les électeurs de l’Île-du-Prince-Édouard devaient se prononcer sur le système électoral de leur choix. Leur bulletin de vote présentait cinq systèmes électoraux qu’ils devaient numéroter par ordre de préférence. Si aucun système ne recevait d’emblée l’appui de 50 % des voix exprimées, l’option ayant reçu le moins d’appuis était éliminée et le second choix de ces électeurs était redistribué jusqu’à ce qu’une majorité émerge. Les électeurs avaient le choix entre le statu quo, le statu quo plus les chefs (un siège réservé au chef de chaque parti recevant au moins 10 % des suffrages), le vote préférentiel ainsi que deux systèmes proportionnels.

Le statu quo est arrivé en tête lors du premier décompte, avec 31 %. Il est resté premier quand le système préférentiel a été écarté. Il n’a été déclassé que lorsqu’un des deux systèmes proportionnels a été éliminé. Le système proportionnel mixte l’a alors remporté avec 52 % des voix contre 43 % pour le statu quo. Les 5 % manquants représentent les bulletins « épuisés », c’est-à-dire ceux que les électeurs n’avaient pas numérotés jusqu’au bout.

En vertu du système proportionnel mixte choisi, les électeurs recevraient deux bulletins de vote. Le premier servirait à élire un député selon le système traditionnel. Le second, à exprimer son parti politique de préférence. Un certain nombre de députés supplémentaires seraient alloués aux partis dont la part d’élus ne reflète pas fidèlement la part des suffrages obtenus avec ce second bulletin. Ces députés seraient choisis à même les listes dressées par les partis.

Le taux de participation au référendum n’a été que de 36 %. C’est d’autant plus bas que l’Île-du-Prince-Édouard décroche systématiquement la palme du plus haut taux de participation du pays lors des élections fédérales.

Et maintenant ?

Comme il s’agit d’un plébiscite, le gouvernement n’est pas tenu de le respecter. Le premier ministre libéral, Wade MacLauchlan, a systématiquement refusé pendant la campagne de fixer un seuil de participation minimal à partir duquel il se sentirait obligé de respecter la volonté populaire exprimée. Le député libéral et whip du gouvernement Jordan Brown ne se fait pas trop d’illusion. Avec un taux de participation très faible, celui qui avait présidé le comité parlementaire ayant concocté la question référendaire reconnaît qu’« il y a un risque » que le gouvernement n’enclenche pas de réforme. Il rappelle au Devoir que son comité avait suggéré de fixer un seuil de participation entre 33 % et 66 % pour rendre le résultat contraignant.

« J’aurais un problème à ce qu’on enclenche automatiquement un changement avec un tel taux de participation », nous a-t-il avoué lundi à une heure de la fermeture des bureaux de vote. « Je fais une analogie avec la référence sur la sécession du Québec : il faut un résultat clair à une question claire. »

Le chef du Parti vert et député, Peter Bevan-Baker, qui avait siégé avec M. Brown au comité, n’est pas de cet avis. « Nous avons constamment des élections partielles au Canada au cours desquelles le taux de participation est de 30 %, 35 %, et personne ne conteste jamais la légitimité de ces résultats. » M. Bevan-Baker se dit néanmoins « déçu » de ce taux de participation.

« En tout et pour tout, les chiffres ne sont pas aussi élevés qu’on l’aurait espéré », a reconnu le directeur des communications d’Élections PEI, Paul Alan. Quelque 104 700 électeurs étaient appelés aux urnes, dont 4700 jeunes de 16 et 17 ans. On saura seulement mardi quel a été le taux de participation final pour chaque tranche d’âge. En date de dimanche soir, seulement 18 % des mineurs admissibles s’étaient prévalus de leur droit de vote. Seuls les 18-24 ans avaient un score plus faible, à un peu moins de 15 %.

Les électeurs avaient le droit de voter par Internet, par téléphone ou en personne. De loin, les gens ont préféré l’option en ligne (77 %). « On a une personne de 98 ans qui a voté en ligne ! », se félicite M. Alan. Il indique qu’étrangement, ce sont les personnes âgées en foyer d’accueil — « qui ont des tablettes que leur a données leur famille » — qui ont voté en ligne alors que les jeunes ont eu tendance à voter par bulletin papier « parce que c’est ce qu’ils ont vu leurs parents faire » !

Reste maintenant à savoir si ce référendum prince-édouardien influera sur le gouvernement libéral fédéral qui dit vouloir modifier le système électoral seulement en présence d’un large consensus. La force du statu quo est-elle de nature à refroidir les ardeurs réformistes ?

« Il y aurait une belle symétrie dans le fait que ce soit à l’Île-du-Prince-Édouard, où se sont amorcées les discussions pour faire naître le Canada il y a 150 ans, qu’on amorce le mouvement pour se débarrasser de notre système électoral antique ! », conclut M. Bevan-Baker.


Et au fédéral…

Ce ne sera pas comme un référendum, mais tout comme. Le gouvernement libéral enverra en décembre un dépliant aux quelque 13 millions de foyers canadiens pour encourager les citoyens à aller sur le site mademocratie.ca (à venir) et à répondre à des questions à propos de la réforme électorale. Les citoyens auront jusqu’au 31 décembre pour faire connaître leurs préférences. Les libéraux de Justin Trudeau se sont engagés à ce que l’élection de 2015 soit la dernière tenue en vertu du mode de scrutin actuel. Depuis, un comité parlementaire a tenu des audiences, les députés ont organisé des assemblées publiques dans leur circonscription et la ministre responsable du dossier, Maryam Monsef, a effectué sa propre tournée pancanadienne. Le gouvernement devrait faire connaître sa réforme une fois les résultats de toutes ces consultations compilés, quelque part en début de 2017.


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