Réforme électorale: Justin Trudeau attaqué de toutes parts

Le premier ministre Justin Trudeau, mercedi, dans les quartiers généraux des libéraux, à Ottawa
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Le premier ministre Justin Trudeau, mercedi, dans les quartiers généraux des libéraux, à Ottawa

Les déclarations de Justin Trudeau laissant entendre que la réforme électorale n’est plus garantie ont fait bondir les partis d’opposition, qui y voient une marque d’arrogance. L’opposition s’est d’ailleurs appuyée sur ce recul perçu du gouvernement libéral pour arguer qu’il y avait bien des déceptions, un an après l’élection de Justin Trudeau au pouvoir.

En entrevue avec Le Devoir cette semaine, le premier ministre a indiqué qu’il faudrait « un appui substantiel » pour que son gouvernement modifie le mode de scrutin — ce que les libéraux promettaient pourtant lors de l’élection. Justin Trudeau a avancé que l’ampleur de la réforme pourrait être proportionnelle à l’ampleur des appuis. S’estimant victime de son succès électoral, il a fait valoir que le désir de réforme des Canadiens s’était peut-être quelque peu estompé à la suite de l’élection des libéraux puisque les citoyens étaient désormais « plus satisfaits » du gouvernement obtenu en vertu du mode de scrutin uninominal à un tour que lorsque ce même mode électoral avait fait élire Stephen Harper.

Le chef du Bloc québécois ne s’est pas gêné mercredi matin pour en conclure que Justin Trudeau croit que le fait de remplacer Stephen Harper tient lieu de réelle réforme électorale. « Il ne se prend pas pour de la marde, M. Trudeau », a lancé Rhéal Fortin.

Cynisme et tromperie

 

Le député conservateur Gérard Deltell juge quant à lui « indigne d’un premier ministre » l’argument « fallacieux » et « burlesque » de Justin Trudeau. « On ne sculpte pas un mode électoral en fonction des personnalités. […] Ce n’est pas juste de dire : “ Ah les gens n’aimaient pas M. Harper et c’est pour cela qu’ils voulaient un changement, et maintenant que je suis là, les gens ne veulent plus de changement. ” Voyons donc ! C’est n’importe quoi, cette affaire-là ! »

Le chef par intérim du NPD, Thomas Mulcair, a lui aussi dénoncé de cent manières les commentaires du premier ministre. « Le même Justin Trudeau disait que le plus gros problème en politique canadienne, c’est le cynisme des gens. Qu’est-ce qu’il peut y avoir de plus cynique que de dire que le système était pourri quand ça donnait Stephen Harper avec 39 % du vote, mais que le système va très bien quand ça donne Justin Trudeau avec 39 % du vote. » M. Harper avait obtenu sa majorité en 2011 avec 39,6 % des voix, M. Trudeau a obtenu la sienne avec 39,5 %. Aux yeux du chef néodémocrate, il ne fait pas de doute que par de telles déclarations, le premier ministre passe à la trappe la réforme promise.

Pour sa part, l’ancien ministre québécois de la Réforme des institutions démocratiques Jean-Pierre Charbonneau s’estime floué. « J’ai le sentiment d’avoir été trompé, et que tous mes efforts, autant que ceux de centaines, sinon de milliers de personnes à travers le Canada qui ont participé à l’exercice de la consultation publique, n’ont servi qu’à camoufler une intention de départ, qui aujourd’hui est assez claire, [soit de] ne pas donner suite à l’engagement électoral bidon », écrit-il par courriel au Devoir.

Mauvaise interprétation ?

Mais les libéraux estiment que leur patron a été mal compris. Une réforme mineure ne voudrait pas nécessairement dire que le gouvernement se contente de ne modifier que le jour du vote, par exemple, et que le mode de scrutin, lui, ne change pas.

 

« Ce n’est pas une question de changer de jour, entendons-nous ! […] Il y a toutes sortes de degrés à une réforme », a plaidé à son tour le député Francis Scarpaleggia, qui préside le comité parlementaire chargé d’étudier les réformes possibles. « Ça peut être extrêmement mineur. Il y a le vote alternatif [préférentiel], qu’on utilise dans notre parti ; il y a une proportionnelle compensatoire, où les circonscriptions demeurent les mêmes ; il y a la possibilité de fusionner des circonscriptions, d’avoir deux députés par circonscription. On a entendu une longue liste de propositions. »

En coulisse, on assure que le gouvernement n’entend pas aller de l’avant de manière unilatérale sans l’appui des partis d’opposition ou de la population. Mais on reconnaît aussi qu’un tel consensus semble, pour l’instant, difficile à atteindre.

Navrant bulletin

 

Les conservateurs dressent un bilan bien sombre de la première année de M. Trudeau au pouvoir. Pour eux, sur le front économique, l’ère Trudeau n’a été que négative : abolition de crédits d’impôt destinés aux familles (sur l’activité physique ou artistique des enfants), augmentation des impôts pour les plus nantis, déficit beaucoup plus élevé que prévu, réduction des cotisations maximales permises dans les Comptes d’épargne libres d’impôt (CELI), imposition future d’une taxe sur le carbone. « C’est un bilan de mauvaise gestion économique, d’augmentation des impôts et d’arrogance choquante », a soutenu la chef intérimaire, Rona Ambrose.

Thomas Mulcair est tout aussi mécontent. Il voit dans l’entérinement libéral des cibles de réduction de gaz à effet de serre de Stephen Harper, ses « réductions » du transfert en santé destiné aux provinces, sa lenteur à modifier la loi antiterroriste votée par les conservateurs, la vente d’armes à l’Arabie saoudite et ce recul sur la réforme électorale autant de preuves qu’il existe « une différence entre M. Trudeau et son parti en campagne électorale, et M. Trudeau et son parti après l’élection ».

« C’est une énorme déception, cette année-là », a renchéri Rhéal Fortin, en citant l’aide toujours attendue pour Bombardier et le dossier des transferts en santé, dans lequel « on rit des provinces ». « À part les beaux sourires et les selfies, on n’a rien eu. »

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