Le projet Énergie Est rattrape Charest

Jean Charest a discuté du projet Énergie Est avec le président de l’Office national de l’énergie (ONE) et trois de ses membres lors d’une rencontre privée alors qu’il était consultant pour TransCanada. C’est ce que révèle un échange de courriels et des notes manuscrites obtenues par le National Observer en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, consultés par Le Devoir.
En décembre 2014, l’adjointe exécutive de Jean Charest écrit à Jacques Gauthier, membre de l’ONE, pour lui demander des précisions sur la rencontre qu’il a sollicitée avec l’ancien premier ministre. « Je veux introduire le nouveau chair de l’Office [sic] et parler des grands enjeux qui toucheront le Québec au niveau pétrolier (Energy East, etc.), répond Jacques Gauthier. Une rencontre assez générale somme toute. »
Il précise plus tard qu’il souhaite « faire le point sur les divers dossiers qui sont en cours et qui affecteront notamment la province de Québec ». Il espère « une discussion ouverte avec M. Charest sur ces sujets ».
Notes manuscrites
La rencontre aura finalement lieu le 15 janvier, au bureau de Jean Charest à Montréal. L’ex-premier ministre a reçu la délégation de l’ONE, composée du président Peter Watson et des deux commissaires, Jacques Gauthier et Lyne Mercier, qui siègent tous deux au comité d’audience chargé d’évaluer le projet Énergie Est.
Les notes manuscrites de l’un des participants de l’ONE se rapportent directement au projet de TransCanada. On y retrouve notamment des références telles que : « Économie a besoin d’investissements […] Quels profits pour Qc ? Clé. […] Communications […] Sécurité du pipeline. »
Ces courriels et ces notes contredisent les propos tenus le mois passé par le conseiller de Jean Charest, Grégory Larroque. Au National Observer, début juillet, il confirmait la tenue de cette rencontre, à laquelle il avait assisté, mais il affirmait qu’Énergie Est n’avait jamais été abordé.
Même son de cloche du côté de l’Office national de l’énergie, qui soutenait que le sujet n’avait pas été à l’ordre du jour. Rappelons que les membres de l’Office national de l’énergie n’ont pas le droit de discuter d’un projet à l’étude en dehors des audiences.
Excuses de l’ONE
Le National Observer a fait une demande d’accès à l’information. Un mois plus tard, preuves à l’appui, l’ONE a été forcé de s’excuser pour avoir fourni de fausses informations au journaliste. « Bien qu’il n’y ait eu aucune mauvaise intention dans notre réponse, l’Office regrette sincèrement que nos recherches n’aient pas permis de trouver ce matériel plus tôt et que notre réponse n’ait pas reflété avec précision [la teneur de] cette rencontre », écrit le porte-parole de l’ONE, Craig Loewen.
En réponse aux questions du Devoir, son collègue Marc-André Plouffe affirme que « l’Office n’était pas au courant, à ce moment-là, de tout contrat par lequel M. Charest pouvait être lié ».
Il précise que d’autres dirigeants au Québec, incluant des maires et des représentants de chambres de commerce, ont également été rencontrés « pour savoir comment faire participer la société québécoise efficacement […] au volet québécois de l’Initiative de mobilisation pancanadienne ».
Il assure que les discussions sont restées dans les limites permises par l’Office. « Si les personnes rencontrées voulaient parfois parler de projets pipeliniers à l’étude, les fonctionnaires de l’Office n’ont permis absolument aucune discussion inappropriée à ce sujet. »
TransCanada
Après sa défaite aux élections, Jean Charest est retourné au droit. Il a également accepté un mandat de consultant pour TransCanada, mais n’a jamais eu un mandat officiel de lobbyiste. Son contrat est arrivé à terme en septembre 2015 et n’a pas été renouvelé. Le cabinet M. Charest n’a pas répondu à la demande d’entrevue du Devoir.
Du côté de TransCanada, on répond par courriel ne pas être concerné par cette rencontre. « M. Charest a été engagé par TransCanada pour agir à titre de conseiller. On ne lui a pas demandé de promouvoir le projet ni de faire du lobbying. Les questions portant sur l’objectif de la rencontre et sur les sujets qui y ont été abordés devraient être dirigées vers ceux qui étaient présents et qui l’ont organisée, ce qui ne touche TransCanada en aucun cas. »
Commissaire au lobbyisme
Ce n’est pas la première fois que Jean Charest se retrouve dans l’eau chaude en raison de son mandat de consultant pour la compagnie albertaine. En mars dernier, le Globe and Mail révélait qu’il avait tenté d’organiser une rencontre entre des représentants de TransCanada et le cabinet du premier ministre Justin Trudeau pour discuter du projet d’oléoduc Énergie Est. La commissaire fédérale au lobbyisme, Karen E. Shepherd, a finalement blanchi Jean Charest, affirmant que « l’allégation […] était sans fondement ».
L’automne dernier, à quelques jours des élections, le coprésident du comité de campagne nationale de Justin Trudeau et ancien chef de cabinet de Jean Charest, Daniel Gagnier, avait été forcé de démissionner après qu’il eut donné des informations privilégiées à TransCanada.
Questionné par Le Devoir à savoir si la commissaire au lobbyisme du Canada avait l’intention d’enquêter sur ces nouvelles allégations, son bureau se fait avare de commentaires. « La commissaire prend toutes les allégations au sérieux. La Loi sur le lobbying stipule que les examens et enquêtes doivent être menés en secret. Elle n’offrira donc aucun autre commentaire. »
Les audiences de l’ONE sur le projet Énergie Est débuteront le 8 août au Nouveau-Brunswick.
