La criminalité remonte au Canada

Un policier qui participait la semaine dernière à la battue pour retrouver une fillette de cinq ans assassinée près de Calgary. Les tentatives de meurtre et les crimes liés à l’usage d’une arme à feu ont chacun bondi de 22% au Canada l’an dernier.
Photo: Jeff Mcintosh La Presse canadienne Un policier qui participait la semaine dernière à la battue pour retrouver une fillette de cinq ans assassinée près de Calgary. Les tentatives de meurtre et les crimes liés à l’usage d’une arme à feu ont chacun bondi de 22% au Canada l’an dernier.

L’ironie n’échappera à personne. Stephen Harper a passé son règne de 10 ans à justifier ses resserrements successifs de la justice criminelle dans un contexte de chute prononcée du taux de criminalité. Maintenant que Justin Trudeau est au pouvoir et promet de donner du lest de ce côté, Statistique Canada annonce que la criminalité a augmenté en 2015, une première en 12 ans.

Le rapport annuel sur les crimes déclarés par la police révèle ainsi que, de manière générale, le nombre d’infractions au Code criminel (en excluant les délits de la route) s’est élevé à 1,9 million, soit environ 70 000 cas de plus qu’en 2014 (+3 %).

Ce sont les crimes les plus violents qui ont connu les hausses les plus marquées : les tentatives de meurtre et les crimes liés à l’usage d’une arme à feu ont chacun bondi de 22 % ; les homicides, de 15 % ; les agressions sexuelles, de 4 % ; et les voies de fait « majeures », de 3 %. Pour cette raison, ce qu’on appelle l’Indice de gravité de la criminalité (IGC) a augmenté de 5 % au Canada. Il y a eu 604 homicides au Canada.

Statistique Canada remet quand même les chiffres en perspective. « Bien que le taux de criminalité ait augmenté en 2015, il affiche une tendance générale à la baisse depuis le début des années 1990, la seule autre hausse étant survenue en 2003 », peut-on lire dans le rapport publié mercredi. Idem pour l’IGC qui, bien que plus élevé que celui de 2014, est 31 % plus bas que celui calculé il y a 10 ans.

Marc Ouimet, professeur de criminologie à l’Université de Montréal spécialisé dans l’analyse de l’évolution du crime dans le temps et l’espace, tempère à son tour cette « hausse », qu’il qualifie plutôt de « statu quo ». « A-t-on affaire à un soubresaut statistique comme on en a vu un en 2003 ? La question est ouverte », dit-il. Mais il ajoute que « la criminalité a tellement diminué — presque de moitié — depuis 30 ans que peut-être avons-nous atteint un niveau minimal ».

Ces statistiques nationales cachent par ailleurs des disparités régionales significatives. Comme cela est le cas depuis de très nombreuses années déjà, la criminalité est plus prononcée dans les trois territoires canadiens et les provinces de l’Ouest.

L’Alberta, durement touchée par la chute brutale du prix du pétrole et les mises à pied subséquentes, a vu l’indice de la gravité des crimes déclarés bondir de 18 %, surtout en raison de l’augmentation du nombre d’introductions par effraction, de petits vols (moins de 5000 $) et de vols de véhicules. M. Ouimet avance l’idée que l’arrivée dans la province d’opiacés comme l’OxyContin et le Fentanyl pourrait aussi expliquer la hausse.

Pour leur part, les villes de Saskatoon, de Regina et de Kelowna remportent le triste titre des villes où il y a le plus de criminalité au pays. Les deux villes saskatchewanaises sont aussi celles où la gravité des crimes commis est la plus prononcée (avec des indices presque deux fois plus élevés que la moyenne nationale).

 

Le Québec épargné

À l’inverse, le Québec fait cette année encore bonne figure à ce palmarès de la délinquance. Au total, il y a eu près de 10 000 infractions de moins que l’année précédente (-3,2 %). Et les crimes québécois sont moins violents : l’IGC a ainsi chuté de 3 % même s’il y a eu sept homicides de plus (pour un total de 77), 49 tentatives de meurtre de plus (total de 212) et que les agressions sexuelles graves ont presque doublé, passant de 19 à 35.

Les villes québécoises se situent en position enviable dans le palmarès de la gravité des crimes. Statistique Canada recueille l’information pour 33 régions métropolitaines, dont six au Québec. Toutes les six affichent un indice de la gravité largement inférieur à la moyenne nationale. Québec décroche même la palme des villes où la gravité des crimes est la moins importante au pays. Sherbrooke arrive au sixième rang.

La capitale canadienne est pour sa part plutôt tranquille, avec une diminution de sa criminalité en 2015 de 2 % et un indice de gravité la plaçant au quatrième rang. Sa voisine québécoise, Gatineau, est un peu plus bouillante, avec un taux de criminalité et un indice de gravité tous deux plus élevés. Montréal a vu son taux de criminalité baisser de 2 %. Étrangement, la ville où le taux de criminalité est le moins élevé au pays est… Toronto. Statistique Canada confirme qu’il s’agit d’une tendance lourde.

Moins de drogues

 

Pour leur part, les affaires liées aux stupéfiants étaient dans leur ensemble en baisse de 8,5 % en 2015. Il y a eu un peu moins de 50 000 cas de possession de cannabis comparativement à presque 59 000 l’année précédente (-15 %). Le trafic de pot est lui aussi en baisse (-21 %). Quant à la production d’herbe folle, il y a eu seulement 3059 cas (-5,8 %). Qu’on mesure le chemin parcouru : en 2010, ce sont plutôt 7100 cas de production qu’avaient traités les policiers canadiens.

Faut-il voir dans ces chiffres une conséquence des débats sur la légalisation de la marijuana ? Pour le professeur Ouimet, il n’en fait aucun doute. Rappelant qu’il y aurait jusqu’à un million d’utilisateurs de cannabis au Québec, il affirme que « les hausses ou les baisses dans les arrestations de marijuana ne sont pas le reflet de hausses ou de baisses de la consommation sociale. Ce sont des hausses ou des baisses d’action policière. S’il y a une baisse, c’est probablement que les policiers sont moins proactifs compte tenu des messages de plus en plus ambigus. »

Notons que la possession de cocaïne a elle aussi été moins fréquente (-5,7 %), tandis que l’héroïne, elle, a subi une hausse des cas de possession de 27 % (400 cas de plus).


Une loi sur la prostitution peu utilisée

2015 a été la première année complète pour laquelle la nouvelle loi encadrant la prostitution a été en vigueur au Canada. Et s’il faut en croire les données de Statistique Canada, ses nouvelles dispositions n’ont pas été beaucoup utilisées.

La loi fédérale adoptée en décembre 2014 repose sur le principe que c’est désormais le client, et non la prostituée, qui doit être dans la mire de la police. L’achat de services sexuels a été criminalisé. Or les statistiques dévoilées mercredi indiquent qu’en 2015, la police a rapporté seulement 345 cas « d’obtention de services sexuels moyennant rétribution ».

La majorité des cas d’achat de services sexuels ont été rapportés dans l’ouest du pays : en Alberta et en Saskatchewan (90 cas chacune) et au Manitoba (67 cas). L’Ontario arrive en quatrième position avec 43 cas. À l’opposé, le Québec n’a rapporté que neuf cas en 2015, ce qui le place dans la queue de peloton avec les quatre provinces maritimes, qui ensemble ont rapporté quatre cas.

Quant à la publicité de services sexuels, désormais interdite, elle n’a pas occupé beaucoup les policiers : seulement 22 cas ont été rapportés pendant l’année, dont un seul dans la Belle Province.


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