Un comité parlementaire soumis au bon vouloir du gouvernement
Parlementaires et experts le réclamaient depuis longtemps. Un comité de sénateurs et d’élus se penchera sur les opérations des agences de sécurité et de renseignement du pays afin de surveiller leurs espions.
« L’objectif est bipartite ; de s’assurer que nos agences de sécurité et d’intelligence protègent les Canadiens de façon efficace, et en même temps nous voulons aussi nous assurer qu’ils respectent les valeurs des Canadiens, les droits et libertés des Canadiens », a expliqué jeudi le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale. Certaines agences gouvernementales qui seront soumises à la supervision du comité comptent déjà un organisme de surveillance. Mais ceux-ci évoluent « en silos individuels », a noté M. Goodale, tandis que le comité saura évaluer toutes leurs activités, au sein de plusieurs ministères, en parallèle.
Neuf parlementaires — maximum quatre élus du parti au pouvoir et deux sénateurs — pourront faire enquête, en jurant de garder le secret, sur « toute question liée à la sécurité nationale ou au renseignement », note le projet de loi C-22 proposant la création du comité. « C’est un mandat très vaste », a argué M. Goodale.
Les experts sont du même avis et se disent plutôt satisfaits de cette étape « nécessaire » pour rattraper les pays alliés qui comptent déjà ce genre de comité. Wesley Wark, spécialiste des questions de renseignement de sécurité à l’Université d’Ottawa, note que c’est à l’usage que l’on verra si la formule libérale fonctionne. « Mais c’est simplement réaliste d’assumer qu’il y aura des limites au genre d’études que pourra mener le comité et au genre d’informations qu’il pourra récolter », note-t-il. Notamment parce qu’autrement, selon lui, le comité « ne gagnerait jamais la confiance de la communauté des renseignements de sécurité ou celle des alliés du Canada »,et ses travaux se trouveraient compromis.
Culture du secret?
Le comité ne pourra toutefois pas réclamer de renseignements portant sur des activités militaires en cours ni d’informations liées à une enquête qui pourrait mener à des poursuites. « Si l’on se fie à la culture du secret gouvernemental dans le passé, l’univers d’informations que le gouvernement tend à craindre de voir causer des problèmes est vaste », s’est inquiété Craig Forcese, second expert de l’Université d’Ottawa en matière de loi sur la sécurité.
Un ministre pourrait en outre refuser de fournir des documents ou carrément rejeter la tenue d’une enquête s’il craint qu’il y ait une atteinte à la sécurité nationale. Dans le premier cas, le ministre devrait justifier sa décision. M. Wark estime que la loi devrait exiger qu’il justifie aussi l’obstruction à une enquête. Et M. Forcese juge « loin d’être idéal » que le premier ministre puisse ordonner la révision des rapports du comité avant qu’ils soient soumis au Parlement. Il voit néanmoins lui aussi d’un bon oeil la création de ce comité qu’il réclamait depuis des années.
À ceux qui s’inquiètent que le travail du comité soit sans cesse bloqué par un ministre, M. Goodale rétorque que les parlementaires pourront le dénoncer publiquement et « qu’il reviendra au premier ministre de s’expliquer aux Canadiens. La pression publique va discipliner le processus. »