Une loi symbolique que tous saluent

La huitième fois sera-t-elle la bonne ? Le gouvernement libéral reprend à son compte un projet de loi longtemps défendu par le NPD qui établit noir sur blanc l’identité de genre comme un motif illicite de discrimination au Canada. Le milieu juridique y voit un geste symbolique, mais les premiers concernés estiment que le symbole changera la donne.
Le projet de loi C-16 ne fait que deux petites pages. Il modifie la Loi canadienne sur les droits de la personneen ajoutant à la longue liste des motifs illicites de discrimination — entre orientation sexuelle et état matrimonial — « l’identité ou l’expression de genre ». C-16 modifie de la même manière le Code criminel en ajoutant « l’identité ou l’expression de genre » à la liste des préjugés ayant motivé un crime qu’un juge devra considérer comme facteur aggravant au moment de déterminer la peine.
« Le gouvernement propose ces changements parce que la loi doit être claire et explicite, a déclaré la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould. Les transgenres et autres personnes trans ont le droit de vivre à l’abri de la discrimination, de la propagande haineuse et des crimes haineux. »
Dans les faits, le C-16 changera peu de choses. Il a toujours été compris que la liste des motifs illicites de discrimination n’est pas exhaustive. « Qu’il y ait de la jurisprudence ou non, une discrimination basée sur le transsexualisme aujourd’hui avant cette loi-là était déjà interdite, rappelle Benoît Moore, professeur de droit à l’Université de Montréal. Pour moi, il s’agit d’une intervention plus symbolique que réelle, mais le symbole est aussi du réel. »
Jean-Sébastien Sauvé, un chargé de cours à l’Université de Montréal qui prépare un doctorat sur le droit et les personnes trans, abonde. C-16 apporte plutôt une clarté. « Il n’y a jamais eu de cas où une personne trans s’est présentée [pour se plaindre d’une discrimination] et on lui a refusé en disant qu’elle n’était pas visée par la loi parce qu’elle est trans. Ça a été plaidé par des avocats, mais à ma connaissance, les juges n’ont jamais retenu cet argument. » Le criminaliste Jean-Claude Hébert estime à cet égard que le changement légal apporté par C-16 aura justement pour effet de tuer dans l’oeuf ce genre d’argumentaire et ainsi « éviter un débat stérile ».
Symbole ou pas, M. Sauvé estime que cette loi aura un effet pédagogique important. « Sur le terrain, les gens ne savaient pas vraiment ce que ça voulait dire cette interdiction de discrimination. Autant les personnes trans se croient pas du tout visées par la Loi canadienne sur les droits de la personne, autant les personnes qui interagissent avec ces personnes-là ne savent pas ce qu’implique cette interdiction de discrimination. »
Symbole puissant
L’annonce du projet de loi a été faite pour coïncider avec la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie. Des dizaines de personnes transsexuelles étaient présentes aux côtés de la ministre dans le foyer de la Chambre des communes, où flottait pour l’occasion le drapeau bleu, blanc et rose des personnes transgenres. Sophia D’Aoust, la présidente du groupe Mosaïque de genres, était du lot.
« Une loi, quand elle passe, donne une force à la minorité qui a besoin de cette force-là. » Mme D’Aoust soutient que 40 % des transgenres font des tentatives de suicide. En Ontario, où une loi similaire a été adoptée, « le taux de suicide a baissé », soutient-elle.
La jeune Charlie Rickert, 13 ans, a aussi pris la parole pour remercier la ministre et le premier ministre Justin Trudeau. « Je me sens plus en sécurité », a-t-elle dit. Sa mère, Anne Lowthian, estime que ce projet de loi ne sera pas inutile. « C’est un incitatif pour s’informer à propos des personnes transgenres et essayer de comprendre », dit-elle au Devoir. Charlie leur a annoncé à l’âge de trois ans qu’elle était une fille et non un garçon. La famille a déménagé à Ottawa pour mettre un terme à l’intimidation dont faisait l’objet leur fille.
Adopté ?
Un tel changement aux lois canadiennes a été longtemps défendu par le député néodémocrate d’arrière-ban Bill Siksay, puis par son collègue Randall Garrison. Pas moins de sept projets de loi ont été déposés depuis 2005. La dernière tentative, le C-279, s’est cassé les dents au Sénat le printemps dernier. Le conservateur Don Plett avait réussi à amender le projet de loi afin d’autoriser les gestionnaires de salles de bain publiques, de vestiaires, de refuges pour personnes violentées ou de prisons à en refuser impunément l’accès aux transgenres au nom de la protection de personnes vulnérables. M. Plett a dit au réseau Global qu’il n’avait pas changé d’avis.
On ignore donc si le C-16 pourra être adopté au Sénat, où les conservateurs détiennent 42 des 86 sièges occupés. Les libéraux « indépendants » n’en ont que 21. Les 23 autres sénateurs ne sont pas affiliés. Il reste 19 postes vacants à pourvoir.
«Une bonne nouvelle», dit Manon Massé
À l’Assemblée nationale à Québec, la députée solidaire Manon Massé s’est réjouie de voir le gouvernement fédéral déposer un projet de loi afin de « protéger les personnes trans qui sont actuellement les personnes les moins bien protégées » à la fois dans la Charte canadienne et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. « De savoir qu’on veut […] les empêcher de pouvoir être victimes de propagande haineuse ou de discours inapproprié m’apparaît plutôt une bonne nouvelle », a-t-elle affirmé.Elle a invité la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, à faire un nouveau « pas » pour renforcer les droits des personnes trans en appelant le projet de loi 598, qui vise à permettre le changement de mention du sexe des enfants transgenres. Marco Bélair-Cirino