«Nous sommes de retour»

À peine désigné premier ministre, Justin Trudeau a reçu les félicitations — et même les conseils — d’une panoplie de leaders étrangers. Mais le chef libéral avait, lui, un message pour la planète entière : le Canada compatissant, apaisant et conciliateur comme dans ses souvenirs est de retour.
M. Trudeau a bouclé son long périple électoral mardi par un rallye d’après-midi à Ottawa réunissant plusieurs centaines de personnes. « Je veux dire ceci aux amis de ce pays d’à travers le monde. Plusieurs d’entre vous vous êtes inquiétés que le Canada avait perdu sa voix compatissante et constructive sur la scène internationale au cours des 10 dernières années. Alors, j’ai un message très simple à vous livrer de la part de 35 millions de Canadiens : nous sommes de retour ! » a-t-il lancé, provoquant un tonnerre d’applaudissements et de cris de joie.
Depuis son élection lundi soir, M. Trudeau s’est entretenu avec les présidents américain, français, italien et mexicain. La conversation avec Barack Obama a été « très chaleureuse », a-t-il relaté, même si le patron de la Maison-Blanche l’a « taquiné pour [s]on manque de cheveux gris », auquel son nouvel emploi remédierait rapidement. M. Trudeau a raconté qu’un des leaders internationaux à qui il avait parlé lui a donné ce conseil : « Il m’a dit : “Ce que tu ressens aujourd’hui, savoure-le, car ce n’est qu’une pente descendante à partir de maintenant.” Je ne suis pas d’accord. Au Canada, tout est possible. »
Justin Trudeau a commencé son mandat par quelque chose que son prédécesseur Stephen Harper n’avait fait qu’une poignée de fois pendant son règne de dix ans : une conférence de presse de presque 20 minutes au Théâtre national de la presse. Là, il a annoncé qu’il formerait son cabinet le 4 novembre prochain, cabinet qui respectera, promet-il, la parité hommes-femmes.
Il n’a pas été en mesure d’indiquer quand le Parlement serait rappelé ou à quel moment il mettrait en place le nouveau mécanisme non partisan de nomination au Sénat. Bien que majoritaire à la Chambre des communes, M. Trudeau devra faire adopter ses projets de loi à la Chambre haute où les conservateurs, pour l’heure, dominent avec 47 des 105 sièges. Combler les 22 sièges vacants réglerait la question.
De la même manière, M. Trudeau n’a pas garanti qu’il participera à tous les sommets internationaux qui se succèdent cet automne : le G20 en Turquie les 15 et 16 novembre, le sommet de l’APEC aux Philippines les 18 et 19 novembre, puis le sommet du Commonwealth à Malte du 27 au 29 novembre. Il s’est seulement engagé à assister à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de Paris en décembre et se dit « optimiste » pour le G20 et l’APEC.
Justin Trudeau a indiqué qu’il rencontrerait les premiers ministres provinciaux afin de concocter une position canadienne au sommet sur les changements climatiques, mais malgré l’insistance des journalistes, il a refusé de s’engager à présenter à Paris des cibles chiffrées de réduction de gaz à effet de serre.
Quant à la fin des bombardements canadiens en Irak, le dévoilement des détails de l’accord de libre-échange Partenariat transpacifique ou encore la réponse à donner à la décision de la Cour suprême sur l’aide médicale à mourir, le nouveau premier ministre a été incapable d’offrir un échéancier précis. « Nous avons un premier ministre, et le 4 novembre, c’est moi qui le deviens ! » a-t-il fini par lancer de manière ingénue.
Lourd programme et une rupture
Le nouveau premier ministre est bien au fait que son programme électoral était touffu, ses promesses, nombreuses, et que par conséquent, les attentes sont élevées à son endroit. Aussi a-t-il profité de son discours d’après-midi pour remercier longuement ses militants et leur rappeler la lourde tâche qui les attendait.
« Nous devons rester concentrés et travailler fort pour tous les Canadiens afin de remplir nos promesses. Pour leur donner un gouvernement qui appuie ses politiques sur les faits et qui écoute les scientifiques. Un gouvernement qui travaille avec la fonction publique, l’écoute et la respecte. Nous devons montrer aux Canadiens qu’on peut leur donner un gouvernement ouvert, optimiste et positif. »
Le chef libéral a aussi servi un rappel à l’ordre préventif à ses troupes qui se sont tant déchirées dans le passé. « Il y aura de beaux jours, mais aussi de mauvais jours. Mais rappelons-nous ce que nous avons accompli ensemble. Ensemble. Pas par la division, pas par les attaques, mais en ralliant les gens. Nous devrons nous montrer à la hauteur de cet optimisme, de ce sentiment que tout est possible qui nous habite aujourd’hui. »
Si le fait de tenir une conférence de presse a marqué une rupture avec le règne de Stephen Harper, ce n’est pas le seul geste posé par Justin Trudeau mardi qui annonce un changement d’approche. En matinée, comme première sortie à titre de premier ministre désigné, M. Trudeau s’est rendu à la station de métro Jarry pour remercier ses électeurs de Papineau. Il a serré la main de quidams et s’est prêté au jeu des égoportraits alors que les agents de la GRC responsables de sa sécurité restaient en retrait.
On chuchote dans les coulisses que le nouveau premier ministre a donné la consigne aux policiers de prendre un peu leurs distances et de ne pas former ce bouclier humain qui enrobait M. Harper. Vrai ? En conférence de presse, M. Trudeau a refusé de donner des détails sur sa sécurité, mais il a pris soin d’ajouter : « Pour moi, être en contact avec les Canadiens, les entendre, les écouter, les rencontrer est une grande priorité et en tant que premier ministre, j’espère et compte pouvoir continuer d’être ouvert, accessible et en contact avec les Canadiens. »
Les enfants plutôt que le père
Une première conférence de presse avec Justin Trudeau devenu premier ministre comme son père n’aurait pu être complète sans lui demander si le souvenir de son défunt paternel l’habitait. « C’est drôle, a-t-il répondu. Ma première journée au Parlement en 2008, quand je suis rentré comme député, mes réflexions étaient remplies de mon père et de mon grand-père James Sinclair. Mais aujourd’hui, je pense beaucoup plus à Xavier, Ella-Grace et Hadrien [ses trois enfants]. Je suis très fier de mon père, de ses valeurs et de ce qu’il a accompli, mais je comprends que le travail que j’ai à faire aujourd’hui et dans les années à venir doit être ancré dans les besoins actuels et futurs de ce pays. C’est là que je garde mes priorités et je pense que c’est ce que mon père aurait voulu de moi. »
Les 12 travaux de Trudeau
Recalibrer la grille fiscale pour réduire à 20,5 % le taux d’imposition des revenus entre 45 000 $ et 89 000 $ et augmenter à 33 % celui des revenus de 200 000 $ et plus.Refondre des prestations destinées aux familles en une seule, modulée selon les revenus, mais plus généreuse pour toutes les familles gagnant moins de 150 000 $.
Mettre sur pied une enquête publique sur les femmes autochtones disparues ou assassinées.
Légaliser la marijuana.
Annuler le péage prévu sur le nouveau pont Champlain.
Mettre un terme à la fin progressive de la livraison du courrier à domicile.
Cesser les bombardements canadiens en Irak et en Syrie et mettre en place une mission d’entraînement des forces locales.
Accueillir 25 000 réfugiés syriens supplémentaires.
Réformer le mode de scrutin pour que, comme promis, « l’élection de 2015 soit la dernière élection fédérale organisée selon un scrutin majoritaire uninominal à un tour».
Annuler le fractionnement du revenu pour les familles et dimi- nuer le plafond de cotisation annuelle aux comptes d’épargne libre d’impôt (CELI) à 5500 $.
Bonifier le Régime de pensions du Canada.
Interdire les publicités gouvernementales partisanes par la création d’un poste de commissaire devant autoriser les publicités d’Ottawa avant leur diffusion, comme cela se fait en Ontario.