Quand les «vraies affaires» sont étrangères

L’intervention militaire contre le groupe EI a fait des millions de déplacés. Ci-dessus, des migrants aux portes de la Macédoine.
Photo: Robert Atanasovski Agence France-Presse L’intervention militaire contre le groupe EI a fait des millions de déplacés. Ci-dessus, des migrants aux portes de la Macédoine.

Guerre en Irak, crise des migrants syriens, loi antiterroriste, accords commerciaux. Si habituellement les campagnes électorales portent peu sur les enjeux de politique étrangère, la lutte électorale de 2015 aura fait exception. Les partis politiques ont justement martelé leurs positions sur ces questions pour tenter de voler des appuis à leurs rivaux.

Stephen Harper comptait faire campagne sur le thème de la lutte contre le terrorisme. « Protéger l’économie et la sécurité », posait-il comme priorité en déclenchant les élections il y a maintenant de cela onze semaines. La guerre qu’il a lancée contre État islamique en Irak et en Syrie, sans l’appui du NPD ou du Parti libéral il y a un an, a en effet fait l’objet d’échanges musclés lors des débats des chefs. M. Harper promet de poursuivre sa mission de bombardements dans la région, de même que la mission de formation que mènent les Forces canadiennes sur le terrain en Irak. Le Bloc québécois de Gilles Duceppe appuie ces deux déploiements. Le Parti libéral de Justin Trudeau poursuivrait la formation de troupes locales, mais il rapatrierait les avions de chasse canadiens. Thomas Mulcair mettrait de son côté un terme aux deux pans de la mission.

Si le chef conservateur voulait causer une lutte contre le terrorisme pour s’ériger en champion de la sécurité, le sort des migrants syriens qui fuient par millions la région lui a en revanche fait perdre des plumes. La photo du petit Aylan Kurdi, mort noyé en tentant de se réfugier en Europe avec sa famille, a causé tout un émoi dans la population. La réponse des conservateurs à la crise humanitaire a été vivement critiquée. Stephen Harper s’est engagé à accueillir 10 000 réfugiés d’ici septembre prochain, 20 000 d’ici trois ans. Ce n’est pas assez, ont scandé ses rivaux. Justin Trudeau promet l’arrivée de 25 000 réfugiés syriens d’ici janvier 2016. Thomas Mulcair en accueillerait 10 000 au cours des mêmes trois mois, pour en accepter ensuite 9000 par année — soit 46 000 en quatre ans.

Quant aux tensions en Europe de l’Est, où la Russie a annexé de force une partie de l’Ukraine, néodémocrates et libéraux poursuivraient les missions de surveillance et de formation entamées par les conservateurs.

Une lutte contre le terrorisme aussi au pays

 

Autre sujet controversé de cette campagne, cette fois-ci mis en avant sans relâche par Thomas Mulcair : la Loi antiterroriste (C-51). Adoptée par les conservateurs cette année, elle criminalise le fait de glorifier ou préconiser la perpétration d’actes terroristes, elle resserre la liste des passagers interdits de vol, abaisse le seuil de preuves nécessaires pour que la police procède à des détentions préventives et accorde au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le pouvoir — sous autorisation d’un juge — de perturber les activités de personnes surveillées.

Le NPD martèle qu’il l’abrogera à la première occasion et accuse les libéraux de l’avoir appuyée en promettant de l’amender que s’ils sont élus. Un gouvernement libéral exigerait que tous les mandats octroyés au SCRS respectent la Charte des droits et libertés. Il examinerait aussi toutes les demandes d’appels de personnes figurant sur la liste d’interdiction de vol. Les dispositions de C-51 seraient en outre réétudiées dans trois ans.

Les conservateurs mèneraient de leur côté la lutte encore plus loin, en légiférant pour permettre au ministre des Affaires étrangères de créer des « zones désignées » — jugées comme abritant des foyers de terroristes — où il serait interdit de voyager sans raison légitime.

MM. Mulcair et Trudeau rejettent par ailleurs la loi conservatrice C-24, qui permet désormais de révoquer la citoyenneté de Canadiens comptant deux citoyennetés et étant reconnus coupables de terrorisme ou de trahison. Gilles Duceppe s’y oppose aussi, tout comme à la loi C-51.

Les chefs néodémocrate et libéral promettent de se réengager au sein des Nations unies, que Stephen Harper a vivement critiquées au fil de son règne et où il n’est pas parvenu à décrocher un siège au Conseil de sécurité. MM. Mulcair et Trudeau renoueraient avec les missions de maintien de la paix onusiennes.

En matière de commerce international, M. Harper a vanté l’accord de Partenariat transpacifique conclu avec onze pays. M. Mulcair s’y oppose farouchement, annonçant d’ores et déjà qu’il ne soumettra pas l’entente dans sa forme actuelle au Parlement, car il la juge néfaste pour les travailleurs automobiles et les producteurs laitiers et fromagers. M. Trudeau attend de voir le texte, qu’il laisserait le soin au Parlement d’étudier.

De l’aide pour l’armée et les réfugiés

Néodémocrates, libéraux et bloquistes veulent réformer les Forces armées pour y voir une « tolérance zéro » en matière de harcèlement. MM. Mulcair et Duceppe veulent retirer aux tribunaux militaires les causes de crimes sexuels, pour les confier aux tribunaux civils.

Quant aux anciens combattants, la fermeture par les conservateurs de neuf bureaux qui leur étaient attribués serait annulée tant par le NPD que le PLC, qui, tous deux, les rouvriraient au coût de sept millions par année. Les libéraux engageraient aussi 400 employés de plus pour traiter les prestations de services des vétérans. Les deux partis bonifieraient les pensions des soldats blessés ou de leurs survivants. Ils augmenteraient également l’aide en santé mentale, notamment pour répondre à l’explosion de cas de syndrome de stress post-traumatique.

Le remplacement de la flotte d’avions de chasse CF-18 se fait toujours attendre. Les conservateurs n’ont pas encore annoncé leur décision. Les libéraux excluraient de l’appel d’offres le fameux F-35 (émaillé de problèmes) pour réinvestir les sommes économisées dans la marine. Le NPD permettrait au F-35 de soumissionner, mais tiendrait lui aussi un appel d’offres que n’a pas organisé le gouvernement conservateur.

Thomas Mulcair et Justin Trudeau promettent enfin de rétablir le programme de santé intérimaire des réfugiés — modifié par les conservateurs en 2012 pour ne rembourser que les soins d’urgence ou, selon le pays d’origine du réfugié, lorsque son état menace la santé publique.

Le NPD et le PLC augmenteraient le nombre de parrainages de parents ou de grands-parents invités au pays par leurs proches. Les conservateurs ont instauré un supervisa qui permet des entrées multiples pendant dix ans, plutôt qu’une immigration permanente.

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