Harper pourrait viser davantage de criminels

Le gouvernement fédéral pourrait-il révoquer la citoyenneté de Canadiens ayant la double citoyenneté et reconnus coupables d’autres crimes que le terrorisme ? Le chef conservateur Stephen Harper ne l’exclut pas.
À l’animateur d’une radio de London, Ontario, qui lui demandait mercredi si cette menace de révocation pourrait un jour viser des criminels comme les tueurs en série, les violeurs et les agresseurs d’enfants, M. Harper a répondu : « Bien, vous savez, nous pouvons évidemment, à l’avenir, examiner des options. »
C’est la première fois que cette possibilité est évoquée, à la grande surprise du président de la division du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien (ABC), Stéphane Duval.
M. Harper n’a pas précisé sa pensée, reprenant sa défense habituelle de sa controversée réforme de la Loi sur la citoyenneté (projet C-24). Cette dernière accorde au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir de révoquer la citoyenneté de ceux qui ont une double nationalité — même ceux nés ici — qui sont reconnus coupables d’acte terroriste, de trahison, d’espionnage, ou d’avoir pris les armes contre le Canada.
« Cette extension au terrorisme et à l’espionnage, de dire M. Harper, est conforme à la loi telle qu’elle a toujours fonctionné. Nous étions capables de révoquer la citoyenneté des criminels de guerre par exemple. Il s’agit donc vraiment de cas où les actes criminels d’une personne ne sont pas seulement ignobles, mais démontrent que la personne n’a aucune loyauté pour le pays ou ses valeurs. »
Par le passé, seules les personnes reconnues coupables d’avoir fraudé, menti ou camouflé des faits pour obtenir leur citoyenneté pouvaient se la voir révoquer. « C’est un mythe et c’est faux de dire que les criminels de guerre étaient explicitement visés. C’est parce qu’ils avaient menti pour obtenir leur citoyenneté canadienne que certains l’ont perdue », insiste l’avocat Lorne Waldman. Ce dernier défend Saad Gaya, un Canadien né ici et menacé de perdre sa citoyenneté, le gouvernement présumant qu’il a celle du Pakistan, pays de naissance de ses parents.
Les Canadiens d’accord
L’argument conservateur porte quand même, et ce, depuis longtemps. Selon un sondage Nanos réalisé en septembre 2014, 64 % des Canadiens seraient d’accord pour révoquer la citoyenneté de ceux qui vont combattre au côté du groupe armé État islamique.
C-24 est devenu un enjeu électoral dans plusieurs régions du pays et a provoqué des étincelles lors de deux débats des chefs. Les conservateurs attaquent sans relâche le Nouveau Parti démocratique et le Parti libéral, qui ont promis d’abroger cette loi. Selon les deux partis, cette loi crée une citoyenneté à deux vitesses.
Une opinion que l’ABC partage et a répété lors de l’étude du projet de loi. Avec C-24, les Canadiens sans autre nationalité reconnus coupables de terrorisme ne seront sujets qu’à la sentence prévue dans le Code criminel, alors que ceux ayant la double nationalité risquent de se faire imposer une sentence supplémentaire par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.
Et s’il fallait élargir la portée de la loi, l’écart entre ces deux classes de citoyens serait encore plus important, note M. Duval. « Sur le plan juridique, l’égalité entre citoyens suppose que la loi est la même pour tous. »
Vendredi dernier, le gouvernement a révoqué la citoyenneté d’un des accusés de la cellule terroriste Toronto 18, démantelée en 2006. En juillet et au début d’août, d’autres personnes reconnues coupables d’actes ou de complot terroristes ont reçu un avis de révocation de citoyenneté. Neuf au total, selon le National Post.
Parmi eux, pour la première fois depuis l’instauration de la citoyenneté canadienne, un Canadien né ici, Saad Gaya. Âgé de 27 ans, il a reçu une peine de 18 ans de prison après avoir plaidé coupable pour son rôle dans un complot inspiré d’al-Qaïda. Né à Montréal, il a grandi en Ontario et n’a jamais visité le Pakistan.
Me Waldman souligne que pour une personne née ici, qui n’a jamais vécu dans le pays dont on le dit citoyen, « la perte de la citoyenneté canadienne est une punition encore plus sévère ». Il parle même de « châtiment cruel et inhabituel ».
La constitutionnalité de cette loi est déjà contestée devant les tribunaux. Au moins trois des personnes visées ont porté leur cause devant la Cour fédérale, dont M. Gaya, et des groupes de défense des libertés civiles se sont joints à l’un d’entre eux. Ils doivent comparaître la semaine prochaine. Un autre a déposé un recours pas plus tard que mercredi.
Avec la collaboration de Marie Vastel