Affaire Duffy: un scandale ? Quel scandale ?

Comme prévu, la suite du témoignage de Nigel Wright au procès de Mike Duffy a causé bien des maux de tête à Stephen Harper cette semaine, le forçant à répondre jour après jour à des questions dont il se serait sans doute passé. La couverture médiatique incessante de ce dossier juridico-politique complexe soulève cependant une tout autre question : cette affaire mérite-t-elle autant d’attention ?

C’est ce que se sont demandé à leur façon plusieurs chroniqueurs du Canada anglais, alors que la tempête médiatique causée par le procès du sénateur déchu Mike Duffy sévit en plein été.

D’un côté, il y a ceux, comme Colby Cosh, du National Post, qui doutent carrément que l’affaire Duffy soit aussi « scandaleuse » qu’on le dit. La culpabilité de Duffy n’a pas encore été prouvée, écrit-il, et, après tout, le chèque de 90 000 $ remis par Nigel Wright, l’ancien chef de cabinet de Stephen Harper, est un don d’argent privé au trésor public. Les conservateurs auraient pu utiliser des fonds publics pour rembourser le sénateur, mais ils ne l’ont pas fait, ajoute-t-il.

Au final, le procès de Mike Duffy a peut-être révélé le contrôle exercé par le bureau du premier ministre, mais prétendre qu’un autre politicien n’aurait pas agi de la même manière relève de l’utopie, croit Cosh.

D’une manière semblable, John Ivison, également du National Post, propose à tous ses lecteurs — et aux partisans conservateurs qui ont insulté des journalistes trop insistants à leur goût — de prendre une grande respiration. Le procès Duffy accapare actuellement toute l’attention des médias parce qu’il n’y a tout simplement rien d’autre à couvrir : à ce moment-ci de l’année, les journalistes ne font pas la différence entre un accident de vélo et l’effondrement de la civilisation, illustre-t-il.

Il ne faut pas croire que les histoires impliquant le quatuor Duffy-Wright-Novak-Harper n’intéressent personne ou sont sans importance, nuance Ivison. Mais, lorsque viendra le temps de voter, bien d’autres enjeux plus importants auront eu le temps de s’imposer.

Dans le camp des sceptiques, il y a aussi Carol Goar, du Toronto Star, qui fait remarquer que le témoignage de Nigel Wright n’a pas permis d’impliquer directement Stephen Harper. Certaines informations sont bien sûr embarrassantes pour le gouvernement qui tente de se faire réélire, mais nous n’avons rien appris de bien nouveau cette semaine. La couverture médiatique ininterrompue défie donc l’entendement, juge-t-elle. Cette saga attire à son avis l’attention parce qu’elle met en scène des personnages et comporte des revirements dignes d’une fiction.

Pauvre Stephen Harper

 

À l’opposé, la virulence des commentaires de plusieurs observateurs démontre l’importance que ceux-ci accordent à toute cette affaire. Pince-sans-rire, Andrew Coyne, du National Post, prend en pitié le pauvre Stephen Harper, qui apprend aujourd’hui que son entourage savait ce qu’il ignorait.

Les médias ont décrit le chef conservateur comme un homme contrôlant et impitoyable : on le serait tout autant si on apprenait comme lui que tous nos proches nous ont menti. Stephen Harper ne mérite donc pas qu’on le condamne, mais plutôt qu’on lui offre nos sympathies, ironise Coyne.

Préférant aller droit au but, Lawrence Martin écrit, dans le Globe and Mail, que, avec le procès Duffy, l’intégrité devient un enjeu primordial dans cette campagne électorale qui ne fait que débuter. Stephen Harper se retrouve en très fâcheuse position, mais il peut toujours espérer que les Canadiens auront bientôt la tête ailleurs.

Un éditorial du Toronto Star se demande, quant à lui, à quel point les conservateurs croient être en mesure de faire avaler leurs histoires aux Canadiens. Peu importe la crédibilité que les électeurs accordent à la version de M. Harper, qui dit n’avoir rien su du fameux chèque de Nigel Wright, il ne fait pas de doute que son bureau et lui ont induit le public en erreur pour camoufler une situation embarrassante, note-t-on.

Le premier bilan de Trudeau

 

Le jour du scrutin est encore bien loin, mais les premières semaines de la campagne électorale ont offert un aperçu du bois dont se chauffent les différents chefs. Le meneur, Thomas Mulcair (NPD), est rattrapé par son passé, tandis que Stephen Harper (PC), actuellement deuxième, en a plein les bras avec le procès Duffy. Les avis divergent cependant au sujet de Justin Trudeau (PLC), dont les troupes tirent actuellement de l’arrière à l’échelle nationale.

Michael Den Tandt souligne, dans le National Post, que Justin Trudeau a pour l’instant résisté aux attaques des conservateurs qui mettaient en doute sa crédibilité et a réussi là où plusieurs croyaient qu’il échouerait. Le jeune chef n’est pas à l’abri d’une coûteuse erreur, mais il permet jusqu’à maintenant à son parti de croire en ses chances, après une traversée du désert particulièrement éprouvante.

Ce n’est pourtant pas l’avis de Carol Goar, du Toronto Star, qui se demande pourquoi M. Trudeau tarde à présenter les éléments les plus importants de sa plateforme électorale. Comme ses adversaires, il préfère sans doute attendre que les électeurs lui offrent une oreille plus attentive pour passer à l’action, mais, ce faisant, il renforce l’idée que son discours manque de contenu.

Une course à trois est bien différente d’une lutte à deux, explique Goar. Et, pour le moment, Justin Trudeau n’a pas fait le nécessaire pour combler l’écart qui le sépare du duo de tête.

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