Trudeau veut forcer les patrons à justifier un refus

Justin Trudeau a rendu visite aux enfants du Centre culturel francophone de Vancouver, mercredi.
Photo: Jonathan Hayward La Presse canadienne Justin Trudeau a rendu visite aux enfants du Centre culturel francophone de Vancouver, mercredi.

Le chef libéral prend acte de l’inquiétude grandissante des travailleurs quant à leur capacité à concilier emploi et vie personnelle. Justin Trudeau promet d’instaurer, s’il est élu, un processus formel par lequel les employés pourraient demander à leurs patrons de travailler de la maison ou selon un horaire flexible. L’employeur conserverait le droit de refuser, mais devrait se justifier.

« L’employé sera autorisé à demander, et l’employeur devra répondre formellement par écrit à cette demande. Dans les endroits où ce genre de mesure a été instaurée, comme en Grande-Bretagne, plus de 80 % des demandes sont acceptées », a soutenu M. Trudeau. Selon lui, il s’agit « de s’adapter à l’étape où les gens sont rendus dans leur vie ». Tous les travailleurs, et pas seulement ceux avec des enfants, pourraient se prévaloir de cette disposition.

Pour l’instant, la promesse libérale ne contient aucun détail supplémentaire. Le modèle britannique cité par M. Trudeau stipule que l’employeur doit répondre « d’une manière raisonnable », c’est-à-dire en évaluant les avantages et inconvénients de la requête, en organisant une rencontre avec le demandeur et en lui offrant un mécanisme d’appel en cas de refus. En Grande-Bretagne non plus, les employeurs ne sont pas obligés d’acquiescer aux demandes.

Hélène Lee-Gosselin, professeure de management à l’Université Laval, se montre sceptique quant à l’efficacité d’une mesure volontaire. « La force d’une loi se mesure aux dents qu’elle contient pour assurer son implantation », explique cette spécialiste de la conciliation travail-famille. Elle donne l’exemple de l’équité salariale. Malgré l’adoption de chartes interdisant la discrimination en fonction du sexe, il a fallu, rappelle-t-elle, une loi spécifique pour que les choses changent. « Ça illustre que même sur quelque chose d’aussi fondamental que le salaire, les mentalités ont mis beaucoup de temps à changer et n’ont changé que lorsqu’il y a eu une obligation légale de le faire, avec des échéanciers et de la surveillance. »

Mme Lee-Gosselin ne jette pas la pierre pour autant parce qu’elle l’admet d’emblée : « Les milieux de travail sont tellement différents d’un endroit à l’autre, je ne vois pas comment on écrit une loi qui va vraiment fonctionner. »
La professeure a fait partie du comité consultatif qui a accouché, au Québec, de la norme Conciliation travail-famille, sorte de norme ISO certifiant qu’un milieu de travail est flexible. Toute organisation qui veut obtenir sa certification doit respecter un cahier de charges et faire l’objet d’un audit par le Bureau de normalisation du Québec (BNQ). On présume que cette certification rend un employeur plus attrayant aux yeux des candidats les plus brillants. Mais de l’aveu même de Mme Lee-Gosselin, les résultats ont été très décevants depuis son implantation en 2012.

« Il n’y a pas de solution facile. J’avais espéré que l’approche des normes aurait fonctionné. J’espère que ce sera une transformation qui s’opère lentement, mais je n’en vois pas la trace », dit-elle. Le BNQ n’a pas rappelé Le Devoir pour indiquer combien d’organisations avaient réclamé une certification.

Tous ne sont pas aussi pessimistes. C’est le cas de Marianne Roberge, la présidente de Koevä, une boîte qui aide justement les entreprises à mettre en place des mesures de conciliation travail-famille. « C’est déjà un très bon premier pas », dit-elle. Elle note que la flexibilité des horaires et le télétravail constituent les deux mesures d’accommodement qui « sont beaucoup demandées » par les travailleurs. « Non, il n’instaure pas d’obligation, mais c’est un premier pas. Moi, je suis beaucoup plus fervente de la sensibilisation que de l’obligation. Il faut sensibiliser les employeurs pour leur faire voir les avantages, et ils sont nombreux. »

Pas pour tout le monde

 

La promesse libérale consisterait en un changement apporté au Code canadien du travail. Elle viserait donc seulement le million de travailleurs des secteurs d’activité sous juridiction fédérale, tels que l’aéronautique, les banques, les télécommunications et le transport interprovincial, soit environ 6 % de toute la main-d’oeuvre canadienne.

On se rappellera que Justin Trudeau qualifie régulièrement de « mirage » la promesse de son rival néodémocrate Thomas Mulcair d’instaurer un « salaire minimum national » de 15 $ l’heure, au motif qu’il ne s’appliquerait qu’à environ 123 000 travailleurs exerçant justement dans ces mêmes secteurs de juridiction fédérale. Les libéraux rétorquent qu’ils travailleraient avec les provinces « intéressées afin qu’elles puissent accorder les mêmes droits aux travailleurs relevant de leur compétence ».

Thomas Mulcair n’a pas manqué d’ailleurs de railler la promesse libérale. « Si je comprends bien cette annonce, vous serez autorisé à demander des heures flexibles, mais votre employeur pourra vous dire non. C’est déjà le cas en ce moment, alors je ne suis pas certain de ce qu’est la promesse au juste. »

Congé de maternité

 

Par ailleurs, M. Trudeau a fait une autre promesse qui, si elle est sans effet au Québec, risque d’intéresser bien des nouveaux parents dans le reste du pays. S’il était élu, il modifierait les paramètres du régime d’assurance parentale actuel pour permettre aux nouveaux parents d’étaler leur congé sur 18 mois plutôt que sur 12. Les parents auraient le choix de prendre plusieurs petits blocs de congés totalisant 12 mois pendant cette année et demie, ou alors prendre les 18 mois de congé, mais en voyant leurs prestations réduites d’autant. La mesure ne s’appliquerait pas au Québec, qui a déjà son propre régime de congés parentaux.

Le Parti libéral estime que cette mesure entraînera une plus grande utilisation du régime, pour un coût annuel supplémentaire de 125 millions de dollars.

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