Harper veut criminaliser le voyage en territoire djihadiste

Stephen Harper compte durcir le ton envers les aspirants djihadistes en criminalisant les voyages non justifiés dans des « foyers d’activités terroristes », où des groupes terroristes recrutent et forment des partisans. Questionné de toute part, le chef conservateur s’est toutefois bien gardé de donner plus de détails quant à la manière dont il entend procéder pour limiter les déplacements vers ces régions « plus à risque ».

« Nous n’ignorons pas ici ce que font ceux qui se rendent dans une telle région. C’est pour cela qu’il faut pousser cette politique particulière qui est utilisée dans d’autres pays », a affirmé le chef conservateur en faisant référence aux attaques inspirées par celles du groupe État islamique (EI) perpétrées par des Canadiens l’an dernier à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa.

À titre d’exemple, le gouvernement australien a adopté en octobre dernier une législation similaire qui, dans les cas extrêmes, peut mener à une peine d’emprisonnement de dix ans.

Les détails concernant les peines canadiennes sont encore inconnus et « seront déterminés par les processus législatifs habituels », ont indiqué les services de communication du Parti conservateur, ajoutant qu’ils ne « spéculeraient pas sur les détails précis à ce moment-ci ».

De passage dans la capitale, Stephen Harper a promis d’élargir la législation qui interdit aux Canadiens d’aller à l’étranger combattre dans les rangs de groupes jugés terroristes par le gouvernement fédéral. Les citoyens qui voudront, malgré tout, procéder au voyage devront justifier leur démarche, sans quoi leur périple pourrait être considéré comme un acte criminel.

Le chef conservateur a tout de même admis que des raisons légitimes pour aller dans ces régions, dans « certaines, rares circonstances », pourraient « théoriquement » exister.

Parmi les activités considérées comme étant légitimes, notons le fait « d’offrir une aide humanitaire, de travailler en tant que journaliste professionnel, de visiter un membre de sa famille, de remplir des fonctions officielles pour le gouvernement [et] de comparaître en justice ».

Aux communications du parti, on précise cependant que « les déplacements uniquement aux fins de visites religieuses, de tourisme ou d’affaires ne seront pas considérés comme étant légitimes ».

Pour Ferry de Kerckhove, professionnel en résidence à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, cette décision du Parti conservateur s’inscrit dans « une tendance inquiétante qui entretient la peur ».

« En Irak, il y a de nombreux hauts lieux de pèlerinage musulmans, insiste l’ancien diplomate. Au-delà du voyage, ce sont des libertés fondamentales qui sont en cause. » En ce sens, la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît, dans son deuxième article, le droit de « liberté de conscience et de religion ».

Selon M. de Kerckhove, cette nouvelle annonce mènera à des dérapages. « Si vous avez un nom arabe, vous aurez probablement à vous justifier davantage, a-t-il expliqué en entrevue avec Le Devoir. Ça pourrait donner lieu à des cas de profilage. Qui sait ce qui arrivera lorsqu’on fera face à une sorte de tribunal qui déterminera qui peut partir et qui ne peut pas ? »

Le premier ministre n’a pas indiqué clairement comment son gouvernement déterminerait les zones interdites. « [Ce sera fait] en fonction des conseils des organismes de sécurité et du renseignement du Canada ». Le service des communications a cependant reconnu que « certaines parties de la Syrie et de l’Irak qui sont contrôlées par le soi-disant État islamique seraient probablement parmi les premières à être considérées ».

Diversion électorale

 

Pour le candidat libéral dans Notre-Dame-de-Grâce–Westmount, Marc Garneau, la déclaration de Stephen Harper est encore trop imprécise pour déterminer si cette nouvelle mesure est adéquate dans le contexte canadien.

« Il y a tellement de questions auxquelles M. Harper n’a pas répondu, comme sur la manière dont ils détermineront ces endroits, insiste le porte-parole pour les affaires étrangères du Parti libéral du Canada. Il devra nous dire ce qu’il a en tête, car, pour l’instant, ça ressemble plus à une déclaration pour faire sensation auprès de sa base militante. »

Il a aussi ajouté que des mesures sont déjà en place pour intervenir lorsqu’une personne s’adonnant au terrorisme est identifiée par les autorités. À cet effet, la loi C-51 adoptée en mai dernier permet de « retirer son passeport ou ses documents de voyage » à un Canadien soupçonné d’entretenir des liens avec un groupe terroriste.

Même son de cloche du côté de Thomas Mulcair, chef du Nouveau Parti démocratique, qui a cependant rappelé que son parti s’est engagé, s’il est élu, à abroger la loi C-51.

De son côté, le chef du Bloc québécois a indiqué qu’il ne voit pas d’un mauvais oeil l’intention des conservateurs de limiter l’accès aux régions où le groupe EI est très actif. « Grosso modo, je suis d’accord avec la mise en place de mesures pour interdire les déplacements vers ces zones, a fait valoir Gilles Duceppe. Il faut maintenir l’équilibre entre sécurité et liberté. »

Il a toutefois précisé que « s’il veut être sérieux, Stephen Harper devra aller plus loin et cesser de fournir des armes à des régimes qui bafouent les droits humains et la démocratie, comme l’Arabie saoudite ».

Inspiration australienne

 

La législation australienne a renforcé ses lois antiterroristes en interdisant tout voyage vers les pays considérés comme étant des foyers du terrorisme international. L’objectif est de limiter les départs de citoyens australiens vers certains secteurs de la Syrie et de l’Irak, entre autres.

« L’amendement sur les combattants étrangers va avant tout permettre de faciliter les poursuites à l’encontre des Australiens qui ont combattu dans les rangs de groupes terroristes à l’étranger, avait alors indiqué le chef du gouvernement Tony Abbott. Il va aussi permettre de surveiller plus aisément ici les terroristes potentiels et “ les prêcheurs de haine ” qui les encouragent. »

La modification proposée criminalise tout déplacement, sans raison valable, dans une zone déclarée comme étant reconnue pour être le théâtre d’activités terroristes. Cette loi s’est toutefois attiré de vives critiques depuis, nombreux de ses détracteurs ayant fait valoir qu’elle compromet la présomption d’innocence.

Avec La Presse canadienne et Le Monde

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