Un débat comme un apéro électoral

Il était attendu, ce premier débat de la campagne électorale 2015 mettant en vedette un doyen, un procureur, un boxeur et une première de classe. Si la joute politique n’a pas, de Stephen Harper, Thomas Mulcair, Justin Trudeau et Elizabeth May, permis de désigner un vainqueur ou un perdant, elle a néanmoins mis en lumière les dynamiques qui marqueront cette campagne dont il reste encore 73 jours.
Le chef conservateur a été la cible de toutes les attaques, le leader du NPD a tenté de prouver qu’il est le seul pouvant canaliser le désir de changement de l’électorat en faisant complètement fi de son rival libéral, le chef libéral s’est avéré un adversaire beaucoup plus robuste que l’image de bellâtre véhiculée par ses adversaires ne le laissait présager, et la figure de proue du Parti vert a démontré que sa formation peut parler d’autres choses que d’environnement.
Le débat organisé par le magazine Maclean’s, tenu en anglais à Toronto, s’est ouvert sur des échanges musclés à propos de la récession qui s’abat peut-être déjà sur le Canada. Lorsque Thomas Mulcair a lancé qu’au « cours des cinq derniers mois, les statistiques montrent que l’économie rétrécit. Nous sommes à un mois de la définition technique d’une récession », le chef conservateur a fait cette étonnante concession : « Je ne le nie pas. » Mais M. Harper s’est empressé de se faire rassurant en répétant que la plupart des secteurs de l’économie canadienne se portent bien et que le déclin général ne s’explique que par l’effondrement du prix du pétrole.
Elizabeth May a raillé le chef conservateur, rappelant qu’elle participait avec lui au débat électoral de 2008. « Je me souviens très clairement que M. Harper disait encore que s’il devait y avoir une récession, nous y serions déjà. Je dirais qu’il n’a pas vraiment une bonne feuille de route en matière de détection de récessions ! » M. Mulcair a soutenu que M. Harper était le seul premier ministre de l’histoire à pouvoir répondre « laquelle ? » lorsqu’on l’interroge à propos d’une récession pendant son mandat.
Le taux d’imposition fiscal des entreprises, ramené à 15 % par le gouvernement conservateur, a accaparé une bonne partie du débat. Le NPD a promis de le hausser, mais on ignore de combien. M. Trudeau a soutenu qu’une telle hausse nuirait à la croissance en période d’instabilité économique. Cette promesse, dit-il, « c’est seulement une façon de courtiser ceux qui aiment détester les entreprises ». Ce à quoi M. Mulcair a répliqué : « Après ses dizaines de milliards de dollars donnés en réductions de taxes aux entreprises les plus riches, où sont les emplois, si c’est un si bon plan que ça ? » M. Harper a ajouté son grain de sel en soutenant que malgré cette baisse d’impôt, les revenus fédéraux provenant des entreprises avaient crû.
Séparation du Québec
La surprise de la soirée est probablement que la souveraineté du Québec se soit invitée dans le débat. Justin Trudeau s’en est pris à Thomas Mulcair pour avoir promis d’abroger la « loi sur la clarté » qui stipule qu’une majorité claire à une question claire devrait être obtenue lors d’un référendum pour qu’Ottawa soit obligé de négocier avec le Québec.
«Votre tentative de mousser le vote séparatiste en faveur du NPD en réitérant cette promesse le jour de la Saint-Jean-Baptiste il y a six semaines n’est pas digne d’un premier ministre », s’est enflammé M. Trudeau. M. Mulcair a répliqué avec virulence par une profession de foi fédéraliste. « Je me suis battu pour le Canada toute ma vie. Je me suis battu pendant le référendum de 1980. Je me suis battu pendant le référendum de 1995. J’ai passé 13 ans de ma vie à l’Assemblée nationale et toujours, je me suis battu pour le Canada. […] Les seuls qui veulent parler de séparatisme sont Justin Trudeau et Gilles Duceppe. »
Chaque fois que M. Trudeau s’en est pris à M. Mulcair à sujet, ce dernier lui a demandé : « Alors, quel est votre chiffre ? » en parlant du seuil d’appui nécessaire pour que la souveraineté soit reconnue. Du tac au tac, M. Trudeau a répondu : « Vous voulez un chiffre, M. Mulcair ? Mon chiffre, c’est neuf. Neuf juges de la Cour suprême ont dit que ce n’est pas suffisant d’avoir une seule voix de majorité pour briser un pays. Et pourtant, voilà la position de M. Mulcair. Il veut être premier ministre de ce pays et choisit de prendre le parti du mouvement séparatiste. » M. Harper, qui s’est moins impliqué dans ce segment, a dit ne pas remettre en doute la foi fédéraliste du chef néodémocrate. « Mais je ne crois pas que ce sujet doit être revisité. […] M. Mulcair tente de jeter de l’huile sur un feu qui ne brûle même pas. »
De pipelines et d’émissions
Quand il a été question des changements climatiques, M. Harper a soutenu à plusieurs reprises que son gouvernement avait réussi à réduire les émissions tout en faisant croître l’économie. « Nous sommes les seuls qui ont à la fois réduit les émissions tout en permettant à l’économie de croître », a-t-il lancé pendant qu’on entendait Elizabeth May en arrière-plan répéter « ce n’est pas vrai ! » Celle-ci a rappelé que les émissions de gaz à effet de serre avaient seulement diminué à cause du dernier ralentissement économique et que depuis, « elles sont en croissance constante ». « M. Harper, personne ne vous croit ! », a tranché M. Trudeau.
Le segment sur l’environnement a par ailleurs beaucoup porté sur les pipelines et l’exportation de pétrole à l’étranger. M. Mulcair s’est retrouvé plus souvent qu’à son tour attaqué par ses adversaires. M. Trudeau l’a accusé de tenir un discours inconstant en anglais et en français à propos du pipeline Énergie Est, et Mme May a soutenu qu’il n’était pas clair à propos du pipeline Kinder Morgan. M. Mulcair a fini par dire que « Mme May dit non à tout, M. Harper dit oui à tout », ignorant du coup très ostensiblement son rival libéral.
D’ailleurs, cela a été une caractéristique du débat : M. Mulcair a le moins souvent possible engagé la discussion avec M. Trudeau. Ce dernier s’est montré très animé, interrompant souvent ses adversaires. M. Harper, pour sa part, a rompu avec l’attitude stoïque, presque amorphe, qu’on lui avait connue pendant les débats des précédentes campagnes.
Le sort du Sénat a aussi été le sujet de discussions. M. Mulcair, qui a réitéré qu’il abolirait la Chambre haute s’il devient premier ministre, a une fois de plus évité de commenter le refus catégorique du Québec d’aller de l’avant. M. Harper a lancé que pourtant, c’était précisément « votre position pendant toutes les années où vous étiez au gouvernement du Québec ».
M. Trudeau a fait valoir que les provinces ne voudraient pas causer Constitution avec le chef néodémocrate. « M. Trudeau pense qu’on a besoin de meilleurs sénateurs. Je pense qu’on a besoin d’aucun sénateur », a répliqué M. Mulcair. Quant aux déboires de ses sénateurs, M. Harper a refusé de s’excuser. « Mon travail, ce n’est pas de m’excuser pour les mauvaises actions des autres. Quand de mauvais gestes sont posés, le rôle d’un leader est d’assumer ses responsabilités et de tenir les gens responsables. »
C-51
En matière d’affaires étrangères, chacun a repris sa position des derniers mois. M. Trudeau, à l’instar de M. Mulcair, a reproché à M. Harper de n’avoir « jamais vu une guerre dans laquelle il ne voulait pas s’engager ». Le chef conservateur a rétorqué qu’il était « absolument irréfléchi » de ne pas sévir contre le groupe État islamique.
Le chef libéral a dû une fois de plus défendre son appui à la loi antiterroriste. « J’ai peut-être été naïf », a-t-il admis. Mais il persiste et signe. « M. Harper veut que tout le monde ait peur qu’un terroriste se cache derrière chaque feuille et chaque roche. M. Mulcair veut qu’on craigne pour notre Charte et nos droits et libertés. Le fait est que le gouvernement canadien doit faire les deux, ensemble. »
Stephen Harper a enfin dû défendre son bilan diplomatique, lui qui a essuyé un revers aux Nations unies lorsque le Canada s’est vu refuser un siège au Conseil de sécurité. Un refus non pas asséné « par des dictatures », mais par des « alliés de longue date, comme le Portugal, l’Allemagne, qui ne reconnaissent simplement plus le Canada que vous projetez sur la scène internationale », a dénoncé M. Mulcair.
J’ai peut-être été naïf
La personne qui vous a dit que vous pouviez cesser de nommer des sénateurs doit retourner à la faq de droit
Mme May dit non à tout, M. Harper dit oui à tout