Une table ronde faute d’une grande enquête

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, est entouré de Wade MacLauchlan (I.-P.-É.), Philippe Couillard et Rachel Notley (Alberta).
Photo: Andrew Vaughan La Presse canadienne Le chef de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, est entouré de Wade MacLauchlan (I.-P.-É.), Philippe Couillard et Rachel Notley (Alberta).
Abandonnées par le gouvernement fédéral, les Premières Nations ont trouvé réconfort auprès des premiers ministres des provinces et des territoires. Las d’attendre la mise en place d’une commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées par Ot- tawa, ceux-ci ont convenu mercredi de tenir une table ronde afin de réfléchir aux «meil- leures pratiques pour prévenir ces tragédies ».
 

« On ne peut pas attendre », a fait valoir le premier ministre manitobain, Greg Selinger, à l’issue d’une rencontre entre les chefs de gouvernement provinciaux et territoriaux et des représentants des Premières Nations. Cela dit, la « table ronde » qui réunira prochainement au Manitoba des dizaines de participants ne « remplacera pas » une commission d’enquête nationale qui aurait passé au peigne fin les motifs expliquant pourquoi les femmes autochtones sont tout particulièrement la cible d’actes violents, a-t-il spécifié. Mais, le gouvernement conservateur se refuse à toute commission d’enquête.

L’absence d’Ottawa à la table ronde organisée par les provinces et les territoires constituerait une « insulte à la mémoire des femmes et des filles disparues » ainsi qu’une « gifle au visage » des membres de leur famille endeuillée, a soutenu la porte-parole de l’Association des femmes autochtones du Canada, Dawn Harvard, mercredi.

Elle a aussi appelé à l’établissement d’un « portrait clair » de la situation des femmes autochtones disparues et assassinées au pays. À ses yeux, le rapport de la GRC, dévoilé au printemps 2014, offre une vision parcellaire du phénomène puisqu’elle n’a pas eu accès aux données de tous les corps de police. La GRC avait recensé 1017 femmes autochtones tuées et 164 disparues entre 1980 et 2012.

En prévision de la table ronde, l’Alberta a promis de jeter les bases d’un plan d’action en matière de lutte contre la pauvreté. La pauvreté est assurément l’« une des racines » du malheur affligeant les femmes autochtones, selon Mme Havard, qui s’explique mal la présence de « poches de population vivant dans des conditions [dignes] du tiers-monde » dans un « pays riche » comme le Canada.

Le premier ministre québécois, Philippe Couillard, a appelé le gouvernement fédéral à ses responsabilités à l’égard des Premières Nations. Il a qualifié de « pas normale » la disparité entre les fonds alloués aux écoles dans les communautés autochtones par Ottawa et les autres par les provinces. « On dépense au Québec, et c’est la même chose ailleurs, plusieurs milliers de dollars de plus par enfant », a-t-il fait remarquer.

Les provinces et les territoires « croient fondamentalement que la réponse aux enjeux autochtones, elle passe d’abord par un engagement du gouvernement fédéral […], mais également par l’éducation et le développement économique commun », a résumé M. Couillard dans la foulée de la réunion préalable au Conseil de la fédération, tenue à Happy Valley-Goose Bay, au Labrador.

Les provinces et les territoires peuvent mettre en oeuvre une série de mesures afin de combler les écarts socio-économiques entre les autochtones et les non autochtones, a souligné de son côté le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Perry Bellegarde. Il a écorché au passage le premier ministre fédéral, Stephen Harper, qui boude le Conseil de la fédération depuis 2008. « Cela n’est pas le bon message à envoyer », a-t-il dit.

Les premiers ministres des provinces et des territoires se sont aussi engagés mercredi à mettre en branle un certain nombre des 94 recommandations de la Commission de vérité et réconciliation (CVR). La CVR a conclu que le Canada « a participé à un génocide culturel » en « sortant l’indien de chaque enfant » (John A. Macdonald) au moyen des pensionnats autochtones.

Le premier ministre terre-neuvien, Paul Davis, a parlé d’un « sincère désir » de ses homologues de « passer à l’action ». Il n’a cependant pas donné plus de détails.

« On va continuer à agir », a dit M. Couillard, rappelant l’adoption d’une motion à cet égard par l’Assemblée nationale. Il s’était notamment déjà dit favorable à une révision des programmes d’histoire afin qu’ils reflètent mieux « la réalité des peuples autochtones, leur contribution à l’édification du pays et les événements malheureux ou parfois plus heureux qui se sont produits ».

Une douzaine de manifestants se sont invités à la rencontre des premiers ministres et de représentants autochtones nationaux.

Parmi eux, Denise Cole a reproché à M. Davis d’avoir organisé pour ses confrères et ses consoeurs une petite « visite touristique » du mégaprojet hydroélectrique « destructeur » de Muskrat Falls, à proximité de Happy Valley-Goose Bay, sans se préoccuper des habitants de la région. « Ils viennent ici pour se vanter de l’énergie qu’ils vont gaspiller sur le dos des Labradoriens, car c’est nous qui allons payer pour tout ce gâchis », a-t-elle lancé.

Se décrivant comme une indépendantiste labradorienne, Mme Cole a dénoncé le piètre état des infrastructures au Labrador. La population du « territoire colonisé » est notamment aux prises avec des difficultés d’approvisionnement en eau potable. « Sur l’île de Terre-Neuve, ils ont leurs routes, leurs trottoirs, leurs bons hôpitaux, leurs bonnes écoles… Au Labrador, les infrastructures manquent toujours. »

Le chef Perry Bellegarde s’est dissocié du mouvement d’opposition au projet hydroélectrique de Muskrat Falls. Il s’est plutôt dit favorable aux mesures prises par les provinces et les territoires afin d’alléger le poids des combustibles fossiles dans les sources d’approvisionnement en énergie des Canadiens.

La vice-présidente de l’organisation Grand Riverkeeper Labrador, Roberta Frampton-Benefiel, a quant à elle exhorté les décideurs politiques canadiens de trouver des « solutions de rechange » à la production d’hydroélectricité, qui est selon elle une source d’énergie « dinosaure ». « C’est peut-être plus écologique que le charbon, mais ce n’est pas « vert ». » Un coup d’oeil à la « dévastation » autour de la rivière Churchill suffit pour s’en convaincre, a-t-elle soutenu. « Le poisson est contaminé au mercure métallique. Les gens en mangent. »

Dialogue

 

À la veille du dévoilement de la Stratégie canadienne de l’énergie, M. Bellegarde a néanmoins pressé les chefs de gouvernement provinciaux et territoriaux d’inviter les communautés autochtones à prendre part « à chaque étape » de l’élaboration de toute nouvelle stratégie énergétique. « Si vous voulez une sécurité économique, une sérénité économique dans vos provinces et territoires, vous devez inclure les Premières Nations », a-t-il déclaré lors d’un impromptu de presse. « Avant de construire quoi que ce soit [les provinces et territoires doivent] construire une relation avec les populations autochtones », a-t-il ajouté.

M. Bellegarde a rappelé la décision de la Cour suprême du Canada confirmant le titre ancestral de la nation Tsilhqot’in sur un territoire déterminé en Colombie-Britannique (juin 2014).

La Colombie-Britannique constitue aujourd’hui un modèle en matière de consultation des Premières Nations, a fait valoir la première ministre britanno-colombienne, Christy Clark. Pour preuve, elle a évoqué le projet de Pacific NorthWest LNG consistant à aménager au sud de Prince-Rupert, sur l’île Lelu, une usine de gaz naturel liquéfié ainsi qu’un terminal maritime. Pas moins de 28 des 29 communautés autochtones établies aux abords d’une éventuelle canalisation alimentant en gaz naturel ces installations ont donné leur feu vert au projet, a-t-elle fait remarquer. La Première Nation Lax Kw’alaams a, elle, rejeté une offre de 1,15 milliard de dollars sur 40 ans proposée par Pacific Northwest LNG. « Je reconnais que les Canadiens ont fait un bon travail dans l’extraction des ressources naturelles [mais] un travail terrible au cours des années dans le partage des recettes [liées à l’exploitation] de ces ressources avec les Premières Nations », a souligné Mme Clark.

Le Conseil de la fédération s’est transporté mercredi après-midi à St. John’s, où les premiers ministres mettront la touche finale à la Stratégie canadienne de l’énergie.

Énergie : Couillard tient à la stratégie canadienne

Le Québec participera à la Stratégie canadienne de l’énergie, a indiqué le premier ministre Philippe Couillard, tuant dans l’oeuf tout espoir du Parti québécois de voir le Québec se dissocier de la démarche du Conseil de la fédération. La « thèse péquiste » se résume en deux mots : « retrait et l’isolement », a déploré M. Couillard mercredi. La thèse libérale mise quant à elle sur la « participation et les alliances », a-t-il ajouté.


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