Faire la promotion du terrorisme devient une infraction criminelle

Le projet de loi C-51 déposé vendredi à la Chambre des communes instaure un tout nouveau type de crime au Canada : celui d’encourager le terrorisme par la parole et les écrits. Des spécialistes en droit s’interrogent déjà sur les dérapages qui pourraient survenir.
Sera passible de cinq ans de prison quiconque, « sciemment, par la communication de déclarations, préconise ou fomente la perpétration d’infractions de terrorisme en général […] sachant que la communication entraînera la perpétration de l’une de ces infractions ou sans se soucier du fait que la communication puisse ou non entraîner la perpétration de l’une de ces infractions ».
Mais comment sera interprété cet article ? Un jeune dans son sous-sol qui relayerait, sur sa page Facebook ou son fil Twitter, un lien vers la vidéo d’un apologiste du djihadisme serait-il automatiquement destiné à la prison ? Le premier ministre Stephen Harper n’a pas écarté cette possibilité.
« L’âge de la personne, qu’elle se trouve dans son sous-sol, dans une mosquée ou ailleurs, tout cela importe peu, a lancé M. Harper. Quand vous vous engagez dans des activités qui explicitement font la promotion du terrorisme, c’est une infraction criminelle sérieuse où que vous soyez. On ne peut pas tolérer cela, pas plus que nous ne tolérons que les gens fassent des blagues d’alerte à la bombe à l’aéroport », a-t-il déclaré.
La formulation de cette nouvelle infraction s’inspire de celle en vigueur en Grande-Bretagne. Celle-ci fait mention de la publication de déclarations avec « l’intention » d’encourager les gens à commettre des actes terroristes ou « sans se soucier » de la possibilité qu’elle encourage les gens à agir ainsi.
Définition
Le professeur de droit de l’Université d’Ottawa Craig Forcese, qui est spécialisé dans les questions de terrorisme et de sécurité nationale, reste perplexe devant l’absence de définition des termes« préconiser »et « fomenter »des actes terroristes. « C’est une formulation que nous n’avons jamais vue avant. Nous ne savons pas ce que cela veut dire. Nous présumons que cela va plus loin que la loi actuelle [contre le discours haineux], mais on ne sait pas vraiment quelle est sa portée. »
M. Forcese ne pense pas que cela irait jusqu’à criminaliser un journaliste ou un chercheur qui relaierait des liens. « On doit quand même démontrer l’intention » terroriste, insiste-t-il. Il ne craint pas non plus un zèle policier. Il pense plutôt que les gens limiteront d’eux-mêmes leur liberté d’expression par crainte d’avoir à se défendre en justice.
Par ailleurs, C-51 s’attaque à la « propagande terroriste »,qui est définie comme « tout écrit, signe, représentation visible ou enregistrement sonore qui préconise ou fomente la perpétration d’infractions de terrorisme en général ». Un juge pourra octroyer aux forces de l’ordre des mandats pour saisir toute publication considérée comme de la « propagande terroriste ». Il pourra aussi autoriser la mise hors ligne d’un site Internet, pour peu que celui-ci soit hébergé sur un serveur canadien.
Stéphane Leman-Langlois, rattaché à l’Équipe de recherche sur le terrorisme de l’Université Laval, craint que cette disposition ne puisse englober toutes sortes d’ouvrages. « Je vois déjà un paquet de livres sur les mouvements terroristes dans l’histoire qui pourraient se qualifier. » Il pense que cela pourrait même viser des groupes d’action environnementale ou de droit des animaux.
M. Forcese ne va pas jusque-là, reconnaissant que son réseau de chercheurs réclamait une telle disposition contre la propagande terroriste. Mais c’est encore la formulation « préconiser et fomenter », non définie, qui lui pose problème.