Un homme et son bicentenaire

Ottawa a lancé dimanche les célébrations du 200e anniversaire de la naissance du père de la Confédération canadienne, John A. Macdonald.
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Ottawa a lancé dimanche les célébrations du 200e anniversaire de la naissance du père de la Confédération canadienne, John A. Macdonald.

Le temps qui passe n’assouplit pas le problème : 200 ans après la naissance du politicien, le cas de John A. Macdonald demeure une sorte de patate chaude politique et historique au Canada. Que faire de l’héritage de celui qui orne les billets de dix dollars ?

La manière timorée dont le pays a célébré dimanche le bicentenaire de son père fondateur témoigne bien de la difficulté d’honorer ce personnage controversé et néanmoins central dans l’histoire du pays.

Controversé parce que rien n’est simple quand il s’agit de Macdonald. D’un côté, on souligne l’homme derrière la Confédération, le tout premier premier ministre du Canada, celui qui a mis en oeuvre la construction des chemins de fer Intercolonial et Canadien Pacifique.

Un politicien exceptionnellement doué, soutenait dimanche le premier ministre Harper dans un discours étoffé revenant sur l’héritage de Macdonald. « Seule une personne ayant une grande vision d’avenir [pouvait] avoir imaginé et créé le Dominion du Canada et l’avoir fait cheminer » vers ce que le pays est aujourd’hui, a lancé M. Harper en rappelant le contexte politique de l’époque.

« Il est vrai que les échecs furent nombreux, qu’ils furent de grande envergure et qu’ils eurent des conséquences pendant plusieurs années, a ajouté le premier ministre. Toutefois, l’édification du pays et sa réussite à long terme sont beaucoup plus remarquables. Et le projet n’aurait jamais pu connaître ce succès si ses fondements n’avaient pas été bien pensés. »

Oui, mais…

Mais plusieurs jugent au contraire que les échecs et zones d’ombre de John A. Macdonald sont trop importants pour être occultés. À savoir : l’homme était raciste, corrompu et alcoolique, résumait l’écrivain Stephen Marche dans le numéro de janvier du magazine The Walrus.

Raciste par le traitement réservé aux Chinois — à qui il imposa notamment le principe d’une taxe d’entrée de 50 $. Des Chinois qui menaçaient le caractère « aryen » du Canada, avait-il dit. Inhumain dans son attitude face aux autochtones, ajoutaient David B. MacDonald, Michael Dan et Bernie M. Farber dans le National Post lundi. Les trois auteurs n’hésitent pas à parler d’un quasi-génocide opéré par le gouvernement Macdonald, en faisant référence à la rétention de l’approvisionnement en nourriture aux Premières Nations (pour les forcer à déménager vers des réserves désignées).

« Il fut le père d’une politique économique protectionniste aujourd’hui révolue et le chef d’un gouvernement qui fut l’un des plus corrompus de l’histoire canadienne », ajoutait dans les pages du Devoir le politologue Jean-François Caron, jeudi dernier. La Société Saint-Jean Baptiste retient pour sa part le rôle joué par Macdonald dans la répression des Métis du Nord-Ouest, jusqu’à l’exécution de Louis Riel. Et l’alcoolisme ? Là-dessus, il y a consensus : Macdonald avait un problème.

Débat

 

Ainsi la mémoire de Macdonald n’est-elle pas exactement facile à honorer. En février dernier, la suggestion d’un conseiller municipal torontois de renommer la gare Union du nom de Macdonald avait soulevé un large débat. Même chose deux ans plus tôt autour d’une promenade à Ottawa. Et rebelote dans les derniers jours, pour le bicentenaire.

« C’est sûr qu’il faut l’honorer, mais avec sobriété et sans le transformer pour ce qu’il n’est pas, estime Harold Bérubé, professeur d’histoire à l’Université de Sherbrooke et auteur d’un article sur Macdonald publié récemment dans la revue Argument. Il y a beaucoup de choses problématiques dans son pedigree. À mon sens, il n’est pas du calibre des pères fondateurs américains : c’était un politicien assez ordinaire, qui a trempé dans la corruption, et qui a aidé à former un pays qui n’était pas le reflet de la vision qu’il avait à l’origine. »

Professeur à l’Université Ryerson et codirecteur d’un ouvrage récent sur Macdonald, Patrice Dutil fait partie de ceux qui estiment qu’il faut contextualiser les choses, « comprendre le milieu dans lequel il oeuvrait, son époque ». Un peu comme on le fait pour Thomas Jefferson, le président américain qui avait des centaines d’esclaves à son service. « Il y a une tendance à critiquer Macdonald parce qu’il n’est pas à la hauteur de nos valeurs d’aujourd’hui. Mais c’est une erreur de lecture de l’histoire », plaide M. Dutil.

Oui, John A. Macdonald était raciste, soutient le professeur. Mais ce n’était pas un « maniaque génocidaire ». Il fut le premier premier ministre à appuyer le droit de vote des femmes (1885). Il était aussi favorable à l’octroyer aux Noirs. « Il faisait preuve d’un racisme avec des bornes, si on veut », dit M. Dutil.

« Seul Champlain mérite la même place dans le panthéon canadien, tranche-t-il. Sans l’entêtement, le charme et le travail de Macdonald, il n’y aurait pas eu de Canada. Aucun autre personnage n’a autant affecté le pays. »

Ce qu’il faut, c’est un traitement nuancé du personnage, pense quant à lui Stephen Azzo, professeur à l’Université Carleton. « Il est le père du Canada : nous devons l’honorer, mais sans blanchir ce qu’il a fait. Il était rétrograde sur les enjeux touchant les autochtones ou les Chinois, même quand on le compare avec ses contemporains. Nous devons le voir comme il était : à la fois un grand homme et le leader imparfait d’un pays imparfait. »

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