La cigarette électronique dans la mire des députés fédéraux

Santé Canada semble avoir un a priori défavorable envers la vapoteuse.
Photo: Joe Raedle/Getty images/Agence France-Presse Santé Canada semble avoir un a priori défavorable envers la vapoteuse.

Les députés fédéraux s’apprêtent à suggérer au gouvernement conservateur comment encadrer les cigarettes électroniques, qui pataugent à l’heure actuelle dans un flou réglementaire. Les recommandations des élus arriveront après Noël, mais une chose est certaine, le statu quo n’est pas acceptable à leurs yeux.

Le Comité permanent de la santé a mené des audiences cet automne pour faire le point sur les vapoteuses, ces dispositifs qui administrent de la nicotine sans recourir à la combustion du tabac. Les cigarettes électroniques à nicotine sont officiellement illégales au Canada, mais elles s’achètent malgré tout très facilement. Santé Canada les considère comme des médicaments, qui doivent donc être soumis au long processus d’homologation prévu à la Loi sur les aliments et drogues. L’industrie n’a pas entrepris ce processus, faisant valoir que son produit ne satisfait pas aux normes minimales pour être classé comme un médicament. L’impasse est totale.

« Ce rapport a de bonnes chances d’être unanime », se réjouit le président conservateur du comité, Ben Lobb. Son collègue Terence Young explique au Devoir que cette étude était nécessaire « parce qu’il y a un vide réglementaire ». La libérale Hedy Fry va plus loin. « Nous sommes dans les limbes. L’Ontario dit qu’il veut interdire la cigarette électronique, d’autres veulent au contraire la permettre et la réglementer. » Selon la néodémocrate Libby Davies, il y a de bonnes chances pour que la ministre de la Santé, Rona Ambrose, prenne en considération ce rapport « parce que c’est elle qui nous a demandé de faire cette étude ».

 

Deux visions

Pendant la quinzaine d’heures qu’ont duré les audiences, deux visions se sont affrontées. Il y avait ceux qui craignent que la vue de ces appareils par des non-fumeurs « renormalise » le fait de fumer et que soient ainsi annulées trois décennies de lutte contre le tabagisme. Ceux-là veulent que ces dispositifs soient soumis aux mêmes contraintes que les cigarettes traditionnelles, voire que leur vente soit conditionnelle à l’obtention d’une ordonnance médicale. Et il y avait ceux qui croient que ces dispositifs constituent une solution de rechange à la combustion du tabac, parce que moins nocifs, et que son accès doit être facilité pour sauver la vie de fumeurs.

Les fonctionnaires de Santé Canada, sans afficher leurs couleurs, ont donné l’impression au cours de leurs témoignages qu’il existe un a priori défavorable à la vapoteuse au ministère.

« Nous sommes préoccupés par le fait que les cigarettes électroniques peuvent accroître l’acceptabilité sociale d’un comportement ressemblant au tabagisme, ou la “renormalisation” du tabagisme, et amorcer une dépendance à la nicotine qui pourrait mener au tabagisme », a fait valoir Hilary Geller, sous-ministre adjointe à la santé environnementale et à la sécurité des consommateurs. Mme Geller a insisté sur « l’absence de données scientifiques concluantes sur les risques et avantages associés à ces produits ». Sa collègue Suzy McDonald a ajouté que « l’abandon complet du tabagisme a de bien meilleurs effets sur la santé que de continuer à fumer en utilisant un produit [de remplacement] à long terme ».

La Société canadienne du cancer (SCC) et la Fondation des maladies du coeur du Canada ont toutes deux demandé que les vapoteuses soient interdites dans les lieux publics intérieurs, les terrasses et les parcs dans le but, a expliqué Rob Cunningham de la SCC, « de préserver l’efficacité des endroits sans fumée pour inciter les fumeurs à arrêter ». Cet argument a été démoli par Boris Giller, du revendeur 180 Smoke. Il a rappelé que les vapoteurs « essaient de cesser de fumer ». « Les parquer avec des fumeurs risque seulement de produire l’effet inverse. »

Presque tous les intervenants ont convenu qu’il faut interdire la vente de vapoteuses aux mineurs, même celles ne contenant pas de nicotine (qui sont, à l’heure actuelle, en vente libre). Et pour cause ! Santé Canada a analysé le contenu de 91 d’entre elles, « près de la moitié de ces échantillons contenaient en fait de la nicotine », a expliqué Hilary Geller.

Une panoplie d’autres intervenants sont venus implorer au contraire les parlementaires de ne pas faire la vie trop dure aux vapoteuses. « Les cigarettes électroniques peuvent sauver des milliers de vies », a soutenu Gaston Ostiguy, pneumologue à l’Institut thoracique de Montréal. Le chirurgien cardiovasculaire Gopal Bhatnagar a soutenu que ces dispositifs « présentent un profil de risque infiniment plus faible que les produits de tabac combustibles traditionnels ».

Le vice-président du fabricant NJOY, David Graham, a affirmé que les opposants à son produit jouent sans le vouloir le jeu de l’industrie du tabac. Il s’est opposé avec véhémence à ce qu’une ordonnance médicale soit requise pour se procurer des cigarettes électroniques. « Il est extrêmement illogique de penser qu’un produit à ce point dommageable, qui tue la moitié de ses utilisateurs à long terme [la cigarette à tabac], est largement disponible, alors qu’on restreindrait nettement davantage un produit dont les risques sont à ce point inférieurs. »

Enfin, le président de l’Association canadienne des dépanneurs en alimentation, Alex Scholten, a mis en garde contre la tentation de compliquer la vente des vapoteuses. « Il n’y a rien à gagner à imposer des restrictions sévères au point de susciter l’émergence d’un marché noir dans ce secteur, parallèle à celui déjà florissant des produits du tabac. »

Santé Canada a reconnu la mollesse de l’application de l’interdit actuel : 123 établissements et 31 sites Internet continuent de vendre des vapoteuses à nicotine après avoir reçu une lettre d’Ottawa leur demandant de cesser de le faire.



À voir en vidéo