La fin des «pratiques culturelles barbares»?

Les conservateurs promettaient depuis des mois de sévir contre les « pratiques culturelles barbares ». La réponse est venue mercredi, dans un projet de loi qui propose d’expulser les immigrants pratiquant la polygamie et de criminaliser l’organisation d’un mariage forcé ou celui de mineurs. Mais ce n’est que de la poudre aux yeux, selon un avocat spécialisé qui doute que ces mesures soient vraiment nécessaires au Canada.
« Nous allons renforcer nos lois pour protéger les Canadiens et les nouveaux arrivants au Canada de ces pratiques, annonçait en matinée le ministre de l’Immigration Chris Alexander, à Toronto. Et ces mesures aideront non seulement les nouveaux arrivants, mais aussi ceux qui sont nés ici, ceux de familles établies depuis des générations qui sont parfois encore sujettes à de l’abus, à la violence. »
Le projet de loi S-7 du gouvernement conservateur légifère d’abord l’interdiction de territoire à tout immigrant « pour pratique actuelle ou future » de polygamie en sol canadien.
Or, l’avocat Lorne Waldman rappelle que la polygamie est illégale au Canada. Et les cas dont il a eu vent étaient ceux de femmes venant au pays pour fuir une relation polygame, et non pas pour la poursuivre. Outre la communauté de Bountiful en Colombie-Britannique, « je ne suis pas au courant que la polygamie soit un énorme problème au Canada », a fait valoir le président de l’Association canadienne des avocats en droit des réfugiés. Les membres de cette communauté mormone ont été accusés, après 20 ans d’enquêtes, de polygamie et d’avoir fait passer des jeunes filles aux États-Unis où elles auraient été forcées de se marier.
« La différence avec cette loi et l’état actuel des choses, c’est qu’il est beaucoup plus facile d’expulser quelqu’un que de l’accuser d’une infraction criminelle » et de prouver hors de tout doute qu’il a participé à de la polygamie, a résumé Me Waldman.
Les conservateurs pourraient cependant ce faisant fâcher certains alliés, chez qui la polygamie est bien légale. Une note interne secrète du gouvernement, obtenue par Le Devoir, révèle que les Affaires étrangères s’inquiètent des mesures rendant ces immigrants persona non grata car elles « créeront certainement des irritants bilatéraux » avec des pays comme les Émirats arabes unis ou l’Afrique du Sud. « Cela pourrait aussi mener à des décisions prises par réciprocité chez des pays partenaires », est-il écrit.
Mariages forcés
La loi conservatrice permettrait en outre de demander à un juge d’intervenir en amont s’il y a craintes qu’un individu envoie une personne à l’étranger pour un mariage forcé. Le suspect pourrait se faire saisir son passeport, être confiné à une région ou à sa résidence, être interdit de posséder une arme, ou proscrit d’entamer des démarches pour faire voyager la présumée victime.
Quiconque célèbre, aide ou participe à une cérémonie de mariage sachant qu’un des mariés n’est pas consentant ou qu’il a moins de 16 ans serait par ailleurs désormais criminel et passible de cinq ans de prison. Nul ne pourrait en outre se marier avant 16 ans. Les provinces exigent déjà qu’un marié ait au minimum 18 ou 19 ans, et que pour les mineurs de 16 ans et plus, un parent donne son consentement.
« C’est beaucoup de flafla pour créer un problème et donner l’impression qu’ils sévissent contre quelque chose alors qu’il n’existe pas de réel problème », a commenté Me Waldman.
Le ministre Alexander, de retour de Toronto, a évité les journalistes à sa sortie des Communes en après-midi. Invité à fournir des statistiques sur les cas de polygamie ou de mariages forcés chez les immigrants, son ministère n’a pas répondu au Devoir.
Avec Hélène Buzzetti