La GRC veut plus de pouvoirs

Les corps policiers ont donné une idée des nouveaux pouvoirs qu’ils convoitent pour faire face à la menace terroriste. Le grand patron de la GRC indique qu’il voudrait abaisser le seuil à partir duquel les forces policières peuvent intervenir auprès de personnes soupçonnées de terrorisme.
« Je suis d’avis que nous devons abaisser le seuil, voire retrancher des étapes, par exemple l’obtention de l’autorisation du procureur général, lorsqu’il s’agit d’obtenir des engagements à ne pas troubler l’ordre public contre des cibles d’enquête de sécurité nationale », a fait valoir le commissaire de la Gendarmerie royale, Bob Paulson, lundi. À son avis, ce seuil pourrait passer de « motif raisonnable de croire » à « motif raisonnable de soupçonner ».
Même chose, selon lui, lorsqu’il s’agit d’obtenir de l’aide ou des informations dans la communauté dans le cadre d’une enquête. M. Paulson a donné l’exemple de Martin Rouleau-Couture qui a pu happer avec sa voiture des militaires à Saint-Jean-sur-Richelieu même s’il était sous la surveillance des autorités. La GRC avait indiqué la semaine dernière qu’elle n’avait pas suffisamment de preuves contre cet individu pour déposer des accusations.
Ce genre de débat sur le seuil de preuve nécessaire avait déjà eu lieu en 2001, lorsque le gouvernement libéral avait déposé sa Loi antiterroriste en réponse aux attentats new-yorkais du 11-Septembre. Ottawa avait donné aux autorités le pouvoir d’arrêter quelqu’un sans mandat si elles avaient des « motifs raisonnables de soupçonner » que cette personne était sur le point de commettre un acte terroriste. Cette formule, qui remplaçait la traditionnelle « motifs raisonnables de croire », avait été critiquée comme une dilution du seuil de preuve nécessaire. Elle se retrouve depuis à certains autres endroits du Code criminel.
Le ministre de la Justice, Peter MacKay, a indiqué la semaine dernière qu’il songeait à modifier l’article 810 du Code criminel permettant d’imposer un « engagement à ne pas troubler l’ordre public » à quelqu’un qui menace l’intégrité physique ou la propriété d’un proche. L’article de loi prévoit qu’un tel engagement peut être demandé si une personne « craint, pour des motifs raisonnables ». On peut penser que c’est cette formule que M. Paulson aimerait diluer.
La GRC souhaiterait par ailleurs pouvoir obtenir plus facilement les enregistrements Internet ou les numéros de téléphone de certains individus lorsqu’il « est raisonnable de soupçonner qu’une infraction va être ou a été commise, et lorsqu’il est raisonnable de soupçonner qu’un individu pourrait contribuer à cette infraction ». « L’information est devenue très difficile à obtenir », a plaidé le commissaire en comité sénatorial lundi. Les « préoccupations en matière de vie privée » sont justifiées dans plusieurs cas, consent-il, mais la technologie utilisée par des groupes terroristes change rapidement. « Nous devons rester à jour. »
Aux Communes, le NPD s’interrogeait déjà sur les mesures que pourrait prendre le fédéral. « Quel est le plan du gouvernement pour s’assurer que ses nouvelles lois protégeront à la fois la sécurité et les libertés civiles ? », a demandé la députée Nycole Turmel.
Le ministre Steven Blaney a répondu sans équivoque : « Nous ne réagirons pas de façon excessive, mais nous ne resterons pas assis non plus. Nous allons proposer des mesures concrètes pour lutter contre les radicalistes, contre les terroristes, contre les islamistes et contre ceux qui veulent attaquer le Canada. »
Aux yeux du ministre, la nature des événements de la semaine dernière ne fait aucun doute. « À deux reprises, la semaine dernière, nous avons été l’objet d’attaques brutales sur notre territoire perpétrées par des terroristes islamistes radicaux visant les membres des Forces armées canadiennes. »
La vidéo toujours secrète
Le commissaire Paulson a confirmé que Michael Zehaf-Bibeau avait évoqué « Allah » dans la vidéo qu’il a enregistrée avant de commettre ses gestes au cénotaphe et au parlement, mercredi dernier. Le tireur a en outre parlé « de manière plus générale de la politique étrangère du Canada » et de « ses croyances religieuses ». Il a proféré des menaces contre « l’armée ».
« Il était très délibéré, il était très lucide et il était très déterminé en articulant les raisons de ses gestes », a expliqué M. Paulson. La vidéo, qui sera rendue publique « un jour », espère-t-il, n’aurait pas été envoyée à qui que ce soit, mais la GRC poursuit ses vérifications. Le corps policier tente également de déterminer si d’autres personnes au Canada ont participé à la radicalisation de Zehaf-Bibeau, auquel cas la GRC « veut les arrêter », a prévenu le commissaire.
Son collègue au Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) Michael Peirce a indiqué, au même comité, que le Canada ne craint pas dans l’immédiat une attaque organisée du groupe armé État islamique. Car ce dernier se concentre sur la région où il est en guerre, a noté le directeur adjoint du renseignement au SCRS.
Mais les individus revenus du Moyen-Orient après y avoir participé à des activités terroristes — les services de sécurité estiment qu’ils seraient environ 80 au pays — ont un énorme pouvoir d’influence pour radicaliser leurs concitoyens. « Ils reviennent et ils sont populaires. Les jeunes veulent les écouter », a relaté M. Peirce.
S’ajoute Internet, « l’outil numéro un pour radicaliser » de jeunes Canadiens. À la portée de tous, à quelques clics de souris, une vidéo convainc de rejoindre les rangs terroristes.
De nouvelles recrues brassent donc des idées noires, seules derrière leur clavier d’ordinateur. Un nouveau phénomène lui aussi difficile à déceler pour la GRC. Plus le stratagème est évolué, plus il y a de chance que les corps policiers et de surveillance le détectent, a déclaré M. Paulson. Mais la décision personnelle d’un individu comme Martin Couture-Rouleau de prendre sa voiture et de heurter deux soldats est imprévisible, a avoué le commissaire.
Steven Blaney dépose le projet C-44

Le C-44 autorisera aussi le SCRS à demander à ses alliés (Grande-Bretagne, États-Unis, Australie et Nouvelle-Zélande) de surveiller des Canadiens pour lui. M. Wark explique qu’à l’heure actuelle, un pays allié peut mener une telle surveillance et en partager les fruits avec le Canada, mais de son propre chef, pas à la demande du Canada. Or, explique M. Wark, le Canada a besoin de cette « sous-traitance » parce qu’il n’a pas suffisamment de ressources sur le globe.
Enfin, le C-44 précise que l’identité d’un informateur du SCRS doit être protégée au cours de procédures judiciaires.