Un loup solitaire aux motivations inconnues

L’auteur de l’attentat terroriste d’Ottawa, Michael Zehaf-Bibeau, a laissé une série de condamnations mineures derrière lui et un grand vide sur ses motivations.
Fils d’une fonctionnaire fédérale, Susan Bibeau, et d’un homme d’affaires d’origine libyenne, Bulgasem Zehaf, l’auteur de la fusillade n’a laissé, selon toute vraisemblance, aucune trace sur les réseaux sociaux, aucune explication ni revendication quant à son geste dément.
Michael Zehaf-Bibeau a fêté son 32e anniversaire de naissance le 16 octobre dernier. Il s’était converti à l’islam radical et se faisait appeler de plus en plus « Abdul ». Considérant qu’il était un voyageur « à haut risque », le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) lui aurait retiré son passeport pour éviter qu’il se joigne aux quelque 130 Canadiens qui assistent ou combattent auprès des groupes extrémistes au Moyen-Orient.
Il a vécu à Montréal, dans le quartier Villeray, jusqu’en 2009. Il a connu ses premiers ennuis avec la justice à 21 ans, pour deux affaires de possession de drogue et une omission de se présenter à la cour. En 2004, il a écopé d’une peine de 60 jours de prison.
Zehaf-Bibeau a aussi connu des ennuis avec la justice à Gatineau, où il a vécu brièvement, et à Vancouver, son dernier lieu de domicile connu. Le Vancouver Sun rapportait qu’il a été accusé de vol, en décembre 2011. Il a plaidé coupable à des accusations réduites de menaces, en février 2012.
Selon le Sun, les policiers ont interrogé des membres de la communauté musulmane de Vancouver afin de connaître les fréquentations du tireur.
La levée du périmètre de sécurité en fin de soirée, à Ottawa, sans que les policiers effectuent d’autres arrestations, est un puissant indicateur que Zehaf-Bibeau a agi seul.
Aucun groupe terroriste n’a officiellement revendiqué son attentat. Des sympathisants du groupe État islamique ont cependant manifesté leur joie sur les réseaux sociaux.
Une cible légitime
Le deuxième meurtre d’un militaire en sol canadien en l’espace de trois jours devrait dissiper les doutes sur le statut du Canada : c’est une cible légitime pour les terroristes.
Le Canada a servi pendant des années de base de repli pour les islamistes radicaux. Ils y planifiaient des attentats visant les États-Unis, tels que l’ont fait les membres de la filière d’Ahmed Ressam (condamné à la prison à vie pour un attentat raté contre l’aéroport de Los Angeles).
Le soutien du Canada à la lutte contre le groupe État islamique a changé la donne. Du jour au lendemain, le Canada est devenu une « cible légitime » pour les attaques terroristes, et le groupe a utilisé les médias sociaux pour le faire savoir au monde entier.
En septembre dernier, le porte-parole du groupe, Abou Mohamed al-Adnadi, invitait les partisans du groupe État islamique à tuer les civils et les militaires canadiens. « Les deux sont des infidèles, les deux sont en guerre », disait-il dans un enregistrement vidéo.
Sur les réseaux sociaux, des djihadistes se réjouissent d’ailleurs de la mort des militaires Patrice Vincent (tué lundi par Martin Couture-Rouleau) et Nathan Cirillo (abattu mercredi par Michael Zehaf-Bibeau).
Les attentats de Couture-Rouleau et Zehaf-Bibeau sont récupérés par des sympathisants du groupe État islamique. « Une autre fusillade au Canada… Cette fois à l’intérieur de l’édifice du parlement… Et ils voulaient bombarder l’Irak et la Syrie. LOL », a écrit notamment sur Twitter Muthanna al-Kanadi, un Canadien qui aurait combattu en Syrie, au Liban et en Irak. « Le djihad d’aujourd’hui est à vos portes », prévient-il.
« Le Canada n’est pas à l’abri des types d’attaques que nous avons vues ailleurs dans le monde », a rappelé en soirée mercredi le premier ministre, Stephen Harper.
L’ex-directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Richard Fadden, a sonné l’alarme sur les nouvelles menaces terroristes en février 2013, quelques mois avant la fin de son mandat.
Les groupes affiliés à al-Qaïda à l’étranger comportent tous des Canadiens dans leurs rangs, et ils mentionnent le Canada comme cible potentielle, avait dit le patron de l’agence.
Environ 130 Canadiens ont quitté le Canada pour soutenir ou s’entraîner avec des groupes terroristes à l’étranger, selon les estimations du SCRS. L’agence s’inquiète des risques posés par le retour au pays de ces extrémistes. Une soixantaine d’entre eux, dont Couture-Rouleau, sont d’ailleurs suivis par la police.
Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf-Bibeau partagent plusieurs points en commun : ils étaient jeunes (25 ans et 32 ans), ils s’étaient récemment convertis à l’islam radical, la GRC avait confisqué leur passeport par crainte qu’ils rejoignent le groupe État islamique, et ils auraient agi tels des « loups solitaires ».
Pour les autorités policières, c’est le cauchemar. Les deux jeunes ont agi de leur propre chef, sans même avoir été initiés au combat par des groupes extrémistes à l’étranger. Ils sont difficiles à repérer et à neutraliser.
Selon Marc Lebuis, qui traque les dérives islamistes sur le site Point de bascule, il ne faut pas se surprendre cette forme d’autoradicalisation.
Que ce soit dans certaines mosquées montréalaises, qui invitent des imams controversés, ou encore sur les médias sociaux, des jeunes en situation de vulnérabilité sont exposés aux appels à la violence et à la résistance armée.
« Le Canada, c’est une plaque tournante pour l’endoctrinement et le recrutement pour les groupes islamistes. Depuis cet été, c’est maintenant une cible en bonne et due forme pour les attaques », constate-t-il.