Harper clôt l’affaire Nadon en plaidant l’urgence

Il a été attendu neuf mois, mais maintenant qu’il est nommé, le nouveau juge à la Cour suprême doit entrer au plus vite en fonction. C’est pour cette raison que Clément Gascon, l’homme sur qui Ottawa a jeté son dévolu pour combler la vacance au plus haut tribunal du pays et mettre enfin derrière lui l’affaire Marc Nadon, ne comparaîtra pas devant un comité parlementaire avant de revêtir sa toge rouge.
Le bureau du premier ministre Stephen Harper a annoncé à 17 h mardi la nomination de Clément Gascon à la Cour suprême en tant qu’un des trois juges provenant du Québec. Depuis que les conservateurs sont au pouvoir, les nouveaux magistrats à la Cour suprême doivent comparaître devant un comité spécial de députés que préside le ministre de la Justice. Ce n’est qu’au terme de cette comparution publique, toujours très courue, que la nomination est confirmée. Il n’y aura pas de cela cette fois-ci.
« La Cour suprême doit avoir un banc complet de neuf juges afin d’exécuter efficacement son mandat constitutionnel vital. La nomination du juge Gascon prend effet le 9 juin 2014 [lundi] »,indique la porte-parole du ministre de la Justice, Paloma Aguilar. « Autant le Parti libéral que le NPD nous ont demandé de manière répétée de combler rapidement ce siège. En nommant le juge Gascon, c’est précisément ce que nous faisons. »
Le jugement invalidant la nomination de Marc Nadon a été rendu… il y a deux mois et demi. En 2008, le juge Thomas Cromwell avait lui aussi été nommé sans passer par un tel comité. À ce moment, le gouvernement minoritaire de Stephen Harper traversait une crise parlementaire sans précédent alors que l’opposition menaçait de le renverser.
Clément Gascon est juge depuis 2002 et siège à la Cour d’appel du Québec depuis deux ans. Il est spécialisé en droit commercial. L’homme de 54 ans a fait ses études de droit à McGill. Sa nomination ne modifie pas le ratio hommes-femmes à la Cour : il est encore de six pour trois.
La ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, s’est réjouie de cette nomination. « Je suis très satisfaite de la nomination du juge Gascon, je suis très satisfaite que le poste ait été pourvu et je suis surtout satisfaite de la collaboration qui a été établie dès mon entrée en fonction avec mon homologue fédéral. »
On en déduit que le nom de M. Gascon figurait sur la liste de candidats soumise par Québec au ministre de la Justice, Peter MacKay. On n’en a cependant pas la garantie, car cette liste est confidentielle. Des reportages du Globe and Mail ont laissé entendre que M. Gascon n’était pas sur la liste initiale des préférences d’Ottawa et que, pour cette nomination seulement, Ottawa s’en tiendrait aux préférences de Québec. Le bureau du ministre MacKay avait par la suite rappelé qu’il n’était pas question de laisser Québec choisir « ses » juges.
Une surprise
La nomination de M. Gascon vient clore un douloureux épisode pour le gouvernement conservateur. L’automne dernier, Ottawa avait surpris toute la communauté juridique en nommant à la Cour suprême Marc Nadon, un juge de la Cour d’appel fédérale. Son admissibilité avait été contestée devant les tribunaux au motif qu’un juge fédéral ne se qualifiait pas à titre de juge du Québec. Ottawa avait modifié la Loi sur la Cour suprême pour rendre cette nomination recevable et avait demandé l’avis de la Cour suprême. Il a été débouté sur toute la ligne. Le premier ministre a même déclaré publiquement que la juge en chef avait agi de manière « inappropriée » en avertissant le gouvernement des dangers potentiels de nominations québécoises provenant de la Cour fédérale.
Plusieurs professeurs de droit contactés mardi par Le Devoir étaient surpris de la nomination de Clément Gascon, qu’ils n’avaient pas du tout vu venir. « C’est ça, la nouvelle », lance Stéphane Beaulac, professeur de droit à l’Université de Montréal. « Une nouvelle fois, Stephen Harper nous surprend par le caractère très “ low profile du juge qu’il nomme à la Cour suprême. […] C’est comme pour le juge Richard Wagner. Je n’ai rien contre, mais dans la communauté et par mes contacts, je peux vous dire que le nom attendu n’était pas celui de M. Wagner. On ne fait pas erreur en suggérant la même chose de M. Gascon. Ce ne sont pas des figures de proue. Ce ne sont pas les leaders intellectuels de la Cour d’appel. »
N’empêche que la nomination est très bien accueillie. Le doyen de la Faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa, Sébastien Grammond, rappelle que le juge Gascon a présidé à une série de recours collectifs contre des institutions financières. « Le fait qu’on lui ait assigné un dossier de cette complexité démontre qu’il était bien vu par la direction de la Cour supérieure. […] Il est généralement très bien vu dans le milieu du litige commercial à Montréal. » Il note que M. Gascon a donné raison à Ottawa dans une cause intentée par des syndicats sur l’utilisation des surplus à la caisse d’assurance-emploi et dans une autre intentée par les compagnies de tabac limitant la responsabilité civile du gouvernement.
La critique en matière de justice du NPD, Françoise Boivin, accueille positivement cette nomination tout en ajoutant le bémol qu’elle aurait voulu voir une femme être nommée. Contrairement à M. Beaulac, elle soutient que le nom de M. Gascon faisait partie de ceux qu’on entend régulièrement. « Les [Marie-France] Bich [Pierre] Dalphond [Nicholas] Kasirer, Marie Pratte, Clément Gascon. Quand on est dans ces noms-là, on est rassuré qu’on se trouve en eaux connues et que le droit civil du Québec, la culture, notre histoire, notre système judiciaire seront bien représentés à la Cour suprême. »
Avec Marco Bélair-Cirino
Le juge Clément Gascon en quelques dates
Né à Montréal le 5 février 1960.Il a étudié au Collège Jean-de-Brébeuf (D.E.C 1978) et à l'Université McGill (B.C.L. 1981).
Il est admis au Barreau du Québec en 1982 et a travaillé pendant 21 ans comme avocat et associé chez Heenan Blaikie à Montréal.
Depuis 2008, il co-préside le Séminaire annuel de l'Institut canadien d'administration de la justice portant sur la rédaction des jugements.
Il a été nommé à la Cour d'appel du Québec le 5 avril 2012. Le Devoir