Pas de projet de loi, pas de financement, dit Ottawa
Si les Premières Nations ne veulent pas de la réforme de leur système d’éducation proposée par Ottawa, les communautés autochtones du pays n’auront alors pas les sous qui y étaient prévus, a tranché le fédéral.
Le sort du projet de loi sur le système d’éducation autochtone était sur la glace depuis que le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Shawn Atleo, a quitté son poste, au début du mois, en plein débat des chefs du pays sur la proposition fédérale. Le gouvernement avait alors indiqué qu’il attendrait que l’APN s’entende et décide si elle appuie le projet de loi C-33. La réponse est venue mardi : les membres l’ont rejeté à l’unanimité.
Réplique du ministre des Affaires autochtones mercredi : pas d’entente, pas de nouveau financement. La réforme d’Ottawa prévoyait 1,9 milliard pour bonifier le système d’éducation dans les réserves.
« Ça n’ira pas de l’avant, a tranché Bernard Valcourt dans les couloirs du parlement. On avait une entente et ils ne la respectent pas. On a travaillé pendant plusieurs mois pour essayer d’incorporer les conditions que les chefs eux-mêmes avaient posées pour le succès supposément des enfants dans les réserves, et là, ils ne respectent pas l’entente. »
Le gouvernement conservateur tient mordicus à renouveler le système afin qu’il offre un programme reconnu permettant aux élèves de poursuivre leur scolarité dans une école provinciale.
« Ils voudraient qu’on garroche de l’argent dans un système qui ne fonctionne pas », a reproché le ministre Valcourt. « J’ai dit qu’il n’y aura pas d’investissement tant qu’il n’y aura pas une réforme […] Il y en a qui sont partisans d’une philosophie qui dit « donne-moi l’argent, point, et on n’est pas redevable envers les payeurs de taxes ». Écoute, on a une responsabilité », a-t-il insisté.
Du côté des Premières Nations, le chef régional du Québec et du Labrador, Ghislain Picard — qui agit à titre de porte-parole de l’APN dans l’intérim —, explique que les communautés sont partagées, mais que même la majorité d’entre elles qui désirent une réforme n’acceptent pas C-33. Les autochtones reprochent à Ottawa d’avoir rédigé seul son projet de loi — une « approche unilatérale » — et que le ministre Valcourt se garde le pouvoir décisionnel d’intervenir si une école n’est pas à la hauteur des nouvelles normes souhaitées par Ottawa.
« Nous, on n’a jamais rien eu contre les principes d’imputabilité, de reddition de comptes, a répliqué M. Picard, en entretien avec Le Devoir. Mais est-ce qu’il y a moyen de s’entendre sur des façons de faire desquelles nous aurons convenu ensemble ? »
Quant à l’entente que le ministre reproche aux chefs d’avoir reniée, M. Picard rétorque qu’« une entente avec M. Atleo n’est pas une entente avec l’Assemblée des Premières Nations ». Les chefs du pays n’avaient pas été consultés avant de voir M. Atleo prendre le micro aux côtés de Stephen Harper pour annoncer, en février, l’arrivée prochaine d’une Loi sur le contrôle par les Premières Nations de leur système d’éducation.
S’ils s’entendent pour sommer Ottawa de retourner à la table à dessin, les chefs ne sont pas tous du même avis quant à la suite des choses pour en venir à un accord avec le fédéral. Une diversité de voix que déplore le ministre. « Est-ce qu’on tient pour acquis que 123 chefs vont déterminer le sort des enfants dans 620 quelques communautés ? »
Du côté du Québec et du Labrador, on rejette catégoriquement C-33. L’assemblée régionale conteste d’ailleurs la réforme en Cour fédérale. La cause pourrait être entendue cet été. L’imbroglio autour du projet de loi la rend d’autant plus pertinente, selon M. Picard. « Si le calendrier législatif est reporté à beaucoup plus tard, la cause prend son importance », a confié le chef autochtone — qui envisage de briguer la succession de M. Atleo à l’APN.
L’Assemblée nationale réclame le retrait du projet de loi. Son sort sera connu « bientôt », a-t-on indiqué au gouvernement.