Quatre juges fédéraux sur la liste de Harper

Ottawa — Mutisme absolu. C’est par le silence que le gouvernement conservateur et la communauté légale ont réagi vendredi aux révélations du Globe and Mail selon lesquelles Ottawa avait proposé non pas un, mais quatre noms de juges fédéraux pour combler la vacance québécoise à la Cour suprême du Canada. Marc Nadon n’était donc pas seul.
Le quotidien torontois a mis la main sur la liste secrète de six candidats que le gouvernement conservateur avait concoctée pour pourvoir le poste de juge québécois à la Cour suprême. Des six, quatre provenaient de la Cour fédérale ou de la Cour d’appel fédérale, bien qu’un doute subsistait déjà sur l’admissibilité de telles candidatures (une décision de la Cour suprême confirmera plus tard que ces candidatures étaient bel et bien irrecevables). Comme un comité multipartite de députés devait ramener cette liste à trois noms, il était garanti qu’au moins un proviendrait d’un tribunal fédéral.
Selon le Globe and Mail, outre M. Nadon, Ottawa avait proposé les noms des juges fédéraux Johanne Trudel, Robert Mainville et Michel Shore. Les deux autres candidats provenaient de la Cour d’appel du Québec (et donc admissibles à une nomination) : Marie-France Bich et Pierre Dalphond. Le comité de députés a écarté trois noms pour ne conserver que ceux de Marc Nadon, Johanne Trudel et Marie-France Bich. On sait maintenant que ni M. Nadon ni Mme Trudel ne se qualifient.
Le Globe and Mail cite quantité de sources anonymes qui soutiennent que le gouvernement de Stephen Harper avait l’impression que la magistrature québécoise n’était pas assez conservatrice. Puiser dans les rangs des tribunaux fédéraux lui assurait, pensait-il, un juge plus au diapason du régime. Certains avocats interrogés par le quotidien voient dans la sélection de quatre juges fédéraux sur six un désaveu de la magistrature québécoise. Cette révélation signifie en outre que lorsque la juge en chef de la Cour suprême, Beverley McLachlin, a averti, en cours de processus de sélection, le gouvernement des « enjeux » reliés à la nomination québécoise, elle ne visait pas spécifiquement le juge Nadon.
Le bureau du ministre de la Justice Peter MacKay a refusé de commenter ce qu’il qualifie de « rumeurs ». « Nous allons respecter la confidentialité du processus [de sélection]. » Le bureau de M. Harper n’a pas répondu à notre requête. Même silence au bureau de la ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, au Barreau du Québec et à la Cour suprême.
Le professeur de droit à l’Université de Montréal Paul Daly ne comprend pas les motivations du gouvernement. Il note que le juge fédéral Robert Mainville n’a pas la réputation d’être très conservateur. « Pour Mme Trudel, on ne sait pas trop. » Quant à Michel Shore, il est connu pour son ouverture aux règlements alternatifs tels que la médiation ou la justice réparatrice. Pour ce qui est de M. Nadon, on sait qu’il était le seul des 13 juges s’étant un jour ou l’autre penchés sur le cas de l’enfant-soldat Omar Khadr à ne pas avoir rabroué le gouvernement canadien.
La candidature proposée de Michel Shore fait par ailleurs sourciller, car, note le Globe and Mail, ce juge s’était fait rappeler à l’ordre pour avoir rédigé deux jugements dont la quasi-intégralité était constituée de passages tirés des argumentaires du gouvernement fédéral. Une sorte de plagiat judiciaire, en somme. Le professeur Daly met toutefois un bémol à ce sujet. « Depuis, la Cour suprême s’est penchée sur ce sujet et a laissé beaucoup de latitude aux juges quant au plagiat des factums. »
Rappelons qu’il y a deux mois, la Cour suprême a invalidé la nomination de Marc Nadon au plus haut tribunal du pays au motif qu’un juge fédéral ne se qualifie pas aux trois sièges réservés au Québec. Depuis, le premier ministre Stephen Harper s’est attaqué à la juge en chef McLachlin, estimant qu’elle avait agi de manière inappropriée en avertissant le gouvernement des problèmes potentiels que posait sa liste de candidats.
Le deuxième siège du Québec se libère
Le gouvernement n’a toujours pas indiqué comment il entend pourvoir le poste vacant depuis maintenant près d’un an. Si Ottawa avait voulu s’en remettre aux candidats restants de sa courte liste, il aurait été obligé de nommer Mme Bich. Certains pensent qu’Ottawa veut plutôt recommencer le processus de sélection et qu’il attendait que l’autre poste québécois de juge se libère officiellement pour faire une pierre deux coups. C’est d’ailleurs maintenant chose faite.
Le juge Louis LeBel a officiellement annoncé vendredi qu’il se retirera le jour de son 75e anniversaire, le 30 novembre prochain. « Le juge LeBel a servi la Cour avec grande distinction. Juriste éminemment doué et doté d’une immense sagesse, il est un pilier de la Cour. Tous ses collègues lui vouent un attachement et un respect profonds, et il nous manquera considérablement », a indiqué par communiqué de presse la juge en chef. À ce sujet, le bureau de M. Harper a publié un communiqué de presse stipulant que « les plans en vue de son remplacement à la Cour suprême du Canada seront annoncés en temps et lieu ». Techniquement, rien n’empêche le gouvernement de lui désigner un successeur avant son départ, mais dans le passé, Ottawa a attendu pour ce faire.