Des autochtones craignent pour leurs langues

Le gouvernement fédéral se targue de bonifier le système d’éducation autochtone au pays, tout en laissant les communautés gérer leurs écoles et ce qui s’y enseigne. Mais certains chefs autochtones rétorquent qu’Ottawa, avec sa réforme présentée jeudi, leur retire au contraire la scolarisation de leurs enfants et menace au passage la survie de leurs langues.
Ottawa a pour objectif — avec sa Loi sur le contrôle par les Premières Nations de leur système d’éducation — d’assurer que les élèves fréquentant une école dans une réserve puissent poursuivre leur scolarisation dans une école provinciale ou obtenir un diplôme qui soit reconnu par les normes des provinces. À compter de 2016, les Premières Nations devront garantir l’accès à l’école pour tous les enfants, enseigner un programme reconnu et équivalent à celui des écoles provinciales, compter des enseignants certifiés et offrir un nombre minimum d’heures de cours.
« Notre gouvernement sait à quel point une bonne éducation peut changer une vie », a fait valoir le ministre des Affaires autochtones, Bernard Valcourt, jeudi.
Mais les chefs autochtones ne sont pas ravis de la proposition fédérale. Notamment du fait que le projet de loi impose « le français ou l’anglais comme langue d’enseignement ». L’école pourra offrir un programme d’immersion dans « une langue des Premières Nations », mais les élèves devront être capables de passer au système d’éducation provincial — et donc d’y suivre leurs cours dans l’une des deux langues officielles.
La chef de Kahnawake, Gina Deer, parle peu sa langue, mais ses deux filles l’ont apprise dans un programme d’immersion mohawk. « Ce gouvernement menace cela, s’est-elle inquiétée. Ils vont venir et perturber tout ce qu’on a mis en place […] Kahnawake a ses propres normes et cela fonctionne. » Ses filles ont fréquenté l’école de la réserve avant de s’inscrire au cégep provincial.
Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Shawn Atleo, estime qu’Ottawa semble offrir « une reconnaissance initiale au fait que les langues des Premières Nations doivent être respectées et se retrouver dans l’éducation » des enfants. Mais il faudra voir les détails, lorsqu’ils seront rédigés par Ottawa.
Car le sort des langues autochtones est une des conséquences des pensionnats indiens, où les enfants autochtones étaient forcés d’abandonner la leur, a relaté M. Atleo. Sa propre langue risque de disparaître, dit-il, tout comme 50 autres sur les 52 parlées au Canada.
Qui a le contrôle ?
L’APN en est encore à étudier le projet de loi C-33, mais M. Atleo prévient qu’elle voudra s’assurer que les communautés gardent « un réel contrôle » sur leurs écoles.
La chef Deer n’y croit pas. « Ils s’ingèrent dans nos affaires », a-t-elle reproché, en réclamant plutôt plus de financement.
Les chefs s’inquiètent d’un comité mixte — dont les membres seront nommés par le gouvernement, la moitié après une consultation avec l’APN. Le comité surveillera la performance des écoles et pourra recommander au ministre d’intervenir, en envoyant un gestionnaire superviser l’établissement.
Le ministre Valcourt s’est défendu de garder la mainmise, arguant qu’il ne pourrait prendre de décision sans consulter le comité.
Contesté au Québec
L’Assemblée des premières nations du Québec et du Labrador conteste la réforme en Cour fédérale, arguant qu’Ottawa n’a pas respecté son obligation constitutionnelle de les consulter. Néanmoins, la loi s’appliquera partout au Canada, a tranché le ministère.
Le chef, Ghislain Picard, savait que l’APNQL y serait soumise. Croire le contraire, « ça aurait été illusoire ».
En réponse aux procédures judiciaires de l’APNQL, le ministre Valcourt a invité les chefs à lire le projet de loi. Il estime « qu’ils auront la chance de voir que ça améliore de beaucoup la situation actuelle, qu’ils vont vouloir en prendre avantage ».