Pas de regrets chez les militaires

Le caporal-chef Mario Desfossés a senti que l’armée canadienne était d’une grande aide pour la population afghane. Des Afghans qu’il a côtoyés lui ont confirmé.
Photo: Renaud Philippe - Le Devoir Le caporal-chef Mario Desfossés a senti que l’armée canadienne était d’une grande aide pour la population afghane. Des Afghans qu’il a côtoyés lui ont confirmé.

Québec — Malgré les décès, les nombreux cas de stress post-traumatique et le reste, les militaires qui ont servi en Afghanistan sont rares à remettre à cause le bien-fondé de la mission.

 

Le caporal-chef Mario Desfossés ne s’est pas gêné pour critiquer l’armée dans le passé. En janvier, il avait vivement dénoncé dans Le Devoir les services qu’il avait reçus à Valcartier pour traiter son stress post-traumatique. Mais quand on lui demande si ça a valu la peine d’aller en Afghanistan, il est catégorique.

 

« J’ai senti qu’on aidait beaucoup les gens. Je suis devenu proche de [certains] Afghans quand j’étais là-bas et ils me l’ont dit eux-mêmes [qu’on aidait]. »

 

Là-bas, les citoyens avaient peur de ce qu’il adviendrait d’eux une fois les militaires partis. « Ça me fait de quoi. Souvent, je pense aux amis afghans que je m’étais faits là-bas. […] Je suis pas mal convaincu qu’il y a en a beaucoup qui ont été tués. »

 

Mario Desfossés n’est pas le seul à tenir ce discours. Les nombreux militaires avec lesquels Le Devoir s’est entretenu ces dernières semaines jugent tous que cette mission a été essentielle. Le caporal Patrick Kègle croit avoir donné aux Afghans un « avant-goût de la démocratie ». Sur le terrain, il était garde du corps d’un général, une expérience qu’il a décrite dans un livre de correspondance avec l’écrivaine Roxane Bouchard.

 

Malgré le stress post-traumatique, il est particulièrement fier d’avoir permis à de jeunes filles d’aller à l’école. « Les gens ont tendance à penser qu’on s’imposait, mais il y avait tellement de terreur vis-à-vis des talibans que la sécurité qu’on a apportée, je pense que les gens l’approuvaient. »

 

Le caporal, qui est un passionné d’histoire, déplore qu’on prenne les soldats pour des inconscients. « Le monde pense qu’on ne connaît rien [sur la situation qui prévaut] là-bas. […] Ce n’est pas ça du tout. Les soldats connaissent vraiment l’histoire de l’Afghanistan. Il y en a qui sont capables de remonter jusqu’au Moyen-Âge. »

 

Quand même, tous ne tiennent pas nécessairement à avoir une vision d’ensemble des choses. Paramédical de vol, le caporal-chef Éric Mantha est fier de ce qu’il a accompli à son échelle. « À mon niveau à moi, je trouve que j’ai fait une différence autant pour mes pairs que pour les gens en Afghanistan. Je ne peux pas parler au niveau de la mission. On est trop limités pour l’information et c’est correct de même. Je ne veux pas trop en savoir non plus. »


La guerre, cet «ogre»

 

Le commandant de l’hôpital multinational de Kandahar, Marc Dauphin, croit qu’il faudra « 10 ou 15 ans » et plus de « recul » pour dresser un bilan. Il est satisfait du travail accompli à l’hôpital, où 97 % des blessés ont survécu.

 

C’est lui qui a inspiré le personnage central de la télésérie canadienne Médecins de combat et il a aussi raconté son expérience dans un livre. Il ne cache pas qu’au départ, la mission l’avait rendu cynique, au point de devoir réviser le ton de son livre. « À cause de la douleur, de voir tout ce gaspillage de vies, dit-il. Nos grands politiciens déclarent des guerres ou des missions militaires, mais une fois que tu as ouvert les hostilités, ce n’est plus toi qui contrôles. La guerre prend une personnalité [en] elle-même. C’est comme un ogre, un diable. »

 

Le brigadier général à la retraite Christian Barabé est de ceux qui s’occupent des soldats meurtris auprès de l’organisme Wounded Warriors et du général à la retraite Roméo Dallaire. L’Afghanistan, selon lui, a causé des traumatismes particuliers. « Une journée on sort, on tend la main aux villageois et le lendemain, on se fait donner une claque et on est obligés de réagir presque dans le même milieu. » Il dit que c’est « cette ambiguïté-là », « répétitive » qui est « difficile à traiter ».

 

Pour les familles aussi, le traumatisme a été grand. « Le niveau de stress a été sans précédent », remarque la directrice du Centre de la famille de Valcartier, Marie-Claude Michaud. « Moi, en 20 ans de carrière, je n’avais jamais vu ça. » Pourquoi ? Parce qu’on savait qu’il y aurait des décès, parce que ce n’était pas une mission de paix et aussi à cause de l’attention médiatique. « Il y a eu beaucoup de séparations de couples », note-t-elle.

 

Sur les milliers de personnes qui sont passées par le centre, environ 17 % ont subi du stress opérationnel ou du stress post-traumatique. « Pour beaucoup de familles, ce n’est pas fini, dit-elle. Ce n’est pas parce que la mission est terminée qu’il n’y a plus de besoins. »

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