Péladeau au PQ: le Canada anglais n’y croit pas

Ottawa — Le Canada anglais peine à concevoir que conservateur et souverainiste puissent aller de pair. La profession de foi séparatiste de Pierre Karl Péladeau a eu l’effet d’une onde de choc dans le reste du Canada, car dans l’esprit de différents observateurs politiques, les deux positions sont parfaitement inconciliables.
Le réveil semblait difficile pour les conservateurs, dimanche. « Pierre Karl Péladeau est séparatiste ? », s’interrogeait un stratège conservateur, Jason Lietaer, sur Twitter après s’être exclamé « WTF ? ! ? [What the fuck] » dans un autre gazouillis.
Incrédulité
C’est que pour plusieurs, les positions plus à droite de Pierre Karl Péladeau les avaient convaincus que le baron de la presse était un des leurs. « Les Canadiens de l’Ouest, les conservateurs de l’Ouest hochent la tête d’incrédulité. Sa marque de commerce ne cadre pas avec le geste qu’il pose », a résumé une autre commentatrice politique qui se dit conservatrice, Alise Mills, sur les ondes de la CBC lundi.
M. Péladeau n’est cependant pas le premier personnage de droite à fraterniser avec le mouvement indépendantiste. Lucien Bouchard était membre du cabinet conservateur de Brian Mulroney, avant de claquer la porte pour créer le Bloc québécois. L’actuel ministre Maxime Bernier a été conseiller politique de Bernard Landry à l’époque où ce dernier était ministre péquiste des Finances, tandis que son collègue Denis Lebel a été membre du Bloc québécois de 1993 à 2001.
Cette incrédulité quant à la solubilité du conservatisme dans la sauce souverainiste se lisait aussi à la une du Ottawa Citizen. « Certains se demandent si M. Péladeau a déjà été un vrai conservateur. Avait-il le conservatisme dans le sang ? Ou a-t-il seulement mis sur pied un réseau de télévision avec des commentateurs conservateurs bien en vue tels qu’Ezra Levant pour caresser le gouvernement Harper dans le sens du poil afin qu’il lui accorde la licence de télévision dont Sun News Network avait besoin pour prospérer ? » demande Mark Kennedy.
Le National Post va même jusqu’à dire que ce mariage contre nature ne s’explique que par une chose : le pouvoir de la « tribu ». « La tribu prend le dessus, écrivent John Weissenberger et George Koch. Quoi d’autre pourrait expliquer la décision d’un homme d’affaires et personnage public ostensiblement conservateur et/ou libertarien de se présenter pour un des partis les plus à gauche et étatistes du Canada ? » Ils expliquent que le nationalisme a une « nature viscérale » qui permet à des gens d’horizons très distincts de se boucher le nez et de travailler ensemble pour l’atteinte d’un but commun.
Enrichir un séparatiste?
Ce saut de PKP dans l’arène souverainiste mène en outre les analystes du Canada anglais à penser qu’un référendum est d’autant plus imminent au Québec. Car si M. Péladeau y tient, Mme Marois le suivra, sont-ils convaincus. « Je crois que l’on pourrait voir un référendum d’ici la fin de l’année, a prédit sur les ondes de CTV un ancien porte-parole de Brian Mulroney, Robin Sears. Si le Parti québécois remporte une forte majorité en avril, pourquoi ne voudraient-ils pas faire campagne contre Stephen Harper ? »
Le malaise canado-anglais se traduit aussi quant aux parts de marché que détient ce péquiste nouvellement avoué au sein d’un pays qu’il souhaite quitter.
Plusieurs se demandent ce que devrait faire Ottawa face à Vidéotron, qui a acquis en février des blocs du très convoité spectre de 700 MHz. Ottawa avait alors formulé le souhait que Vidéotron devienne ce quatrième joueur à offrir des services de téléphonie sans fil dans les marchés d’Ontario, d’Alberta et de Colombie-Britannique.
« Il y a quelque chose de troublant à l’idée d’avoir un ministre séparatiste — potentiellement un ministre très haut placé — qui profite financièrement de cette décision », estimait à CBC le commentateur libéral Rob Silver, qui est l’époux d’une stratège de Justin Trudeau.
« Si ce quatrième joueur est maintenant dirigé par un candidat séparatiste, ça devient moins attrayant », convient Tom Flanagan, politicologue et ancien conseiller de Stephen Harper. Bloomberg écrit la même chose. « Harper doit maintenant réconcilier son désir d’augmenter la concurrence avec le risque de projeter l’image d’alimenter une entreprise associée à un entrepreneur séparatiste. […] Harper risque de mettre en colère les Canadiens anglophones en maintenant son appui à Québecor. »