Flaherty hausse le ton, Kenney négocie

Après avoir annoncé la création de sa subvention à l’emploi, le ministre Jason Kenney négociait depuis un an avec les provinces pour tenter de trouver un terrain d’entente sur le mode de financement.
Photo: La Presse canadienne (photo) Sean Kilpatrick Après avoir annoncé la création de sa subvention à l’emploi, le ministre Jason Kenney négociait depuis un an avec les provinces pour tenter de trouver un terrain d’entente sur le mode de financement.

Pendant que Jason Kenney est dans le sprint final pour tenter de s’entendre avec les provinces sur le sort de la formation de la main-d’oeuvre, son collègue Jim Flaherty est venu jeter de l’huile sur le feu. L’enveloppe en litige sort de ses poches à lui, et le fédéral peut faire ce qu’il veut avec son argent, a tranché le ministre fédéral des Finances mercredi.

 

Les provinces étaient déjà furieuses de l’ultimatum lancé par M. Flaherty dans son budget déposé mardi, lequel les prévenait de s’entendre avec Ottawa d’ici le 1er avril, à défaut de quoi le fédéral ira de l’avant seul en remplaçant ses transferts en formation de la main-d’oeuvre par la subvention canadienne à l’emploi. Mercredi, le ministre en a rajouté. « Ce n’est pas un ultimatum. C’est de l’argent fédéral, et le gouvernement fédéral peut le dépenser comme le gouvernement fédéral et ses élus choisissent de le dépenser, a argué M. Flaherty, en brandissant un doigt professoral. Les gouvernements provinciaux ont des pouvoirs de taxation ; ils peuvent hausser leurs propres impôts. Ceci n’est pas une confrontation, c’est un choix. »

 

Mais cette décision fédérale, les provinces ne la digèrent pas. « Je suis outrée de ce qu’il y a dans le budget fédéral. Ils sont entêtés comme c’est pas possible, ils font payer le prix aux Québécois », s’est insurgée la première ministre québécoise, Pauline Marois, qui a accusé Ottawa d’agir « comme un vrai prédateur » à l’égard des compétences des provinces.

 

À l’autre bout du pays, la ministre de l’Emploi et de la Formation de la Colombie-Britannique, Shirley Bond, a aussi déploré l’unilatéralisme d’Ottawa. « Il est regrettable que le gouvernement fédéral menace à nouveau d’aller de l’avant seul alors que nous travaillons si fort à tenter de trouver une solution collective. » Son homologue manitobaine, Theresa Oswald, a affirmé avoir « toujours bon espoir » de voir un accord intervenir, s’inquiétant cependant que les populations vulnérables soient « abandonnées » si Ottawa agit seul. En Ontario, la première ministre Kathleen Wynne a dit « espérer » qu’une entente soit encore possible et qu’Ottawa fasse preuve de « flexibilité ». « Sinon, ce sera un autre cas où nous devrons décider si nous comblons le vide laissé par le fédéral. »

 

Kenney appelle Maltais

 

Après avoir annoncé la création de sa subvention à l’emploi, Jason Kenney négociait depuis un an avec les provinces pour tenter de trouver un terrain d’entente sur le mode de financement. Le ministre doit d’ailleurs présenter une nouvelle proposition à ses homologues la semaine prochaine.

 

Quelques heures après le revers servi aux provinces par son collègue des Finances, il a tenté de calmer le jeu, réitérant qu’il a « exprimé beaucoup de flexibilité » et qu’il poursuit « les discussions ». Mais ce n’est pas la première fois que MM. Flaherty et Kenney sont en désaccords et s’affrontent publiquement (voir autre texte en page A 2).

 

Tentant de rebâtir les ponts, le ministre fédéral de l’Emploi a même convié Agnès Maltais à un entretien téléphonique en fin de journée, a appris Le Devoir.

 

Au terme d’une « bonne conversation », M. Kenney et Mme Maltais se sont entendus pour relancer la « négociation » en vue d’un accord « gagnant-gagnant » entre Ottawa et Québec. « Il y a des canaux de communication qui ont été ouverts [mercredi soir] avec M. Kenney. C’est déjà une très bonne nouvelle », a indiqué l’attaché de presse de Mme Maltais, Jean-Thomas Grantham, au lendemain de l’ultimatum de M. Flaherty. « On va continuer à discuter pour régler les différends. »

 

Le gouvernement du Québec réclame un renouvellement de l’entente sur le marché du travail (EMT) conclue en 2008, ou encore un retrait du programme de formation de la main-d’oeuvre fédéral avec pleine compensation du Québec. « On n’a pas changé notre position », a précisé M. Grantham.

 

La discussion a été « très productive », a corroboré le bureau de M. Kenney.


Date butoir

 

S’il a refusé de commenter les propos de M. Flaherty, M. Kenney a néanmoins endossé la date butoir inscrite à son budget. Car les ententes sur le marché du travail viennent à échéance le 31 mars, « alors il faut passer à autre chose. Possiblement, et préférablement, le renouvellement de l’entente qui comprendra la subvention canadienne à l’emploi. L’autre option, c’est la livraison d’un tel programme du fédéral », a affirmé M. Kenney. Quant au droit de retrait que réclame Québec, « je n’ai pas exclu certaines possibilités », a-t-il répondu. En coulisse, on indique que la demande de Mme Maltais est envisagée, comme promis. Reste à voir si elle sera acceptée, laisse-t-on planer.

 

De l’avis de l’opposition à Ottawa, le ministre a beau plaider qu’il poursuit les pourparlers, ceux-ci sont maintenant caducs. « Les négociations ne sont pas réelles à ce moment-là si le gouvernement fédéral a déjà très clairement indiqué que c’est ça qu’il fait au 1er avril », a reproché Thomas Mulcair du NPD. Échéancier que le bloquiste Jean-François Fortin qualifie de « couperet ».

 

À l’aube d’une élection provinciale, Justin Trudeau reproche quant à lui aux conservateurs de « donner des munitions à madameMarois. […] C’est de créer une chicane entre Ottawa et Québec. À ce moment-ci, c’est entièrement irresponsable ».


L’Ontario aussi mécontent

 

L’insatisfaction face à Ottawa n’est cependant pas propre au Québec. La première ministre ontarienne, flanquée de son ministre des Finances, a organisé mercredi une séance d’information et une conférence de presse pour exposer ce qu’elle considère comme le traitement injuste. Kathleen Wynne a dressé une liste de 116 décisions fédérales, prises depuis que les conservateurs sont au pouvoir, ayant eu pour effet de forcer la province à se substituer financièrement à Ottawa ou à annuler des programmes. « Elles sont d’amplitudes variées, a-t-elle expliqué, mais elles font partie d’une tendance par laquelle le gouvernement fédéral se désengage de son rôle de leader national en abdiquant ses responsabilités aux provinces. »

 

L’Ontario se plaint d’avoir perdu cette année 641 millions en transferts fédéraux. C’est qu’Ottawa verse aux provinces de l’argent par l’entremise de trois transferts distincts (santé, services sociaux et péréquation). Le fédéral compensait depuis 2010 toute province dont le total de ces trois transferts était inférieur à celui de l’année précédente. En quatre ans, sept provinces se sont de la sorte qualifiées, pour un total de 2,2 milliards (dont 731 millions pour le Québec). Cette année, l’Ontario soutient qu’il aurait été le seul à obtenir une telle compensation, parce que ses transferts sont passés de 19,8 à 19,2 milliards, mais Ottawa a discrètement mis fin à la mesure.

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