Le fisc accusé de cibler les écologistes

Certaines enquêtes auraient ciblé des militants opposés au pipeline Northern Gateway, en Colombie-Britannique, un projet qui a donné lieu à une manifestation à Vancouver en novembre dernier.
Photo: La Presse canadienne (photo) Darryl Dyck Certaines enquêtes auraient ciblé des militants opposés au pipeline Northern Gateway, en Colombie-Britannique, un projet qui a donné lieu à une manifestation à Vancouver en novembre dernier.

Une enquête de l’Agence du revenu du Canada sur les principaux groupes écologistes du pays provoque une levée de boucliers contre le gouvernement Harper, accusé de réduire au silence les voix dissidentes.

 

Le fisc canadien a entrepris l’an dernier de vérifier les livres d’une série de groupes qui ont déjà critiqué Ottawa sur le front des changements climatiques, de l’exploitation des sables bitumineux ou de l’aménagement de pipelines. Au moins sept groupes, dont Équiterre et la Fondation David Suzuki, actifs au Québec, font l’objet de cette vérification, a révélé cette semaine Radio-Canada.

 

Selon ce que Le Devoir a appris, les enquêteurs de l’Agence du revenu ont posé des questions pointues aux groupes ciblés. Certains se sont fait demander de produire leurs agendas des dernières années. D’autres ont dû corroborer l’existence « d’ententes verbales » et « d’arrangements » avec d’autres organisations.


Activités politiques

 

L’Agence du revenu cherche à déterminer si ces groupes ont consacré moins de 10 % de leurs ressources à des activités politiques, comme l’exige la loi sur les organismes de charité. Le gouvernement Harper a souvent critiqué les groupes environnementaux, accusés de faire de la politique partisane avec l’aide de crédits d’impôt payés par les contribuables. Les gens qui font des dons à ces organismes se font rembourser entre 10 % et 20 % de leurs contributions, grâce à une politique fiscale de soutien aux oeuvres de bienfaisance.

 

« Il semble assez clair que l’objectif du gouvernement est de nous faire taire, mais on ne se taira pas. C’est une stratégie totalement antidémocratique », dit au Devoir Sidney Ribaux, le directeur général d’Équiterre.

 

L’organisation est sans nouvelles de l’Agence du revenu depuis la vérification menée en janvier 2013 dans ses locaux de la rue Sainte-Catherine Ouest, à Montréal. Les autres groupes ciblés sont la Fondation Pembina, Environmental Defence, Ecology Action Center, West Coast Environmental Law, Tides Canada et la Fondation David Suzuki.

 

Attaques contre les «ennemis»

 

Les groupes joints par Le Devoir ont affirmé qu’ils connaissent très bien les règles et qu’ils n’ont rien à se reprocher. « Pour nous, ce n’est pas inquiétant, parce qu’on n’a jamais eu de problèmes avec l’Agence du revenu et qu’on n’a rien changé dans nos façons de faire. Mais ce qui inquiète beaucoup de gens, c’est que l’interprétation des règles semble en voie de changer », a réagi Karel Mayrand, le directeur général de la Fondation David Suzuki pour le Québec.

 

Les groupes écologistes s’attendent à un resserrement des règles qui régissent les organisations de bienfaisance dans le budget fédéral, déposé mardi prochain. On note que le ministre Jim Flaherty a invité les organisations charitables à la « prudence », dans une entrevue accordée en décembre à Sun Media.

 

« Peu importent les règles, on va s’y conformer. Mais elles doivent être claires et ne pas empêcher la liberté d’expression », dit Karel Mayrand.

 

En privé, les groupes environnementaux font valoir que l’action politique — et non partisane — fait partie de leur mandat. Ils citent notamment les campagnes de la Société canadienne du cancer contre le tabagisme, et celle des mères de victimes de l’alcool au volant, qui ont fait changer les lois après de longues batailles pour rallier les gouvernements et l’opinion publique.

 

La vérification des groupes écologistes est la dernière d’une longue série d’attaques contre des organisations perçues comme des « ennemies du gouvernement », fait valoir Nathan Cullen, le leader parlementaire du Nouveau Parti démocratique. « Le gouvernement cible délibérément les groupes environnementaux. Vous ne verrez pas d’organisation charitable religieuse faire l’objet d’une enquête. Pourquoi ? Parce que les groupes écologistes ont critiqué de façon efficace les politiques du gouvernement », a-t-il dit à la sortie de la Chambre des communes vendredi.

 

Le gouvernement fait la vie dure aux groupes qui critiquent les politiques conservatrices, note le député. Le Service canadien du renseignement de sécurité et la Gendarmerie royale du Canada ont ainsi enquêté sur les militants opposés au projet de pipeline Northern Gateway, en Colombie-Britannique, révèlent des documents rendus publics par la Loi sur l’accès à l’information. Les agences fédérales étaient à l’affût des « menaces » à ce projet controversé, qui soulève l’opposition du mouvement autochtone Idle no More.

 

Indépendance

 

Le gouvernement Harper rejette les critiques et rappelle que les agences fédérales sont indépendantes du pouvoir politique. « L’Agence canadienne du revenu agit de façon indépendante. L’Agence et la fonction publique en général déterminent elles-mêmes le sujet de leurs enquêtes », a dit Paul Calandra, le secrétaire parlementaire du premier ministre, vendredi.

 

Le Devoir a révélé cette semaine qu’un projet de loi conservateur cherche aussi à forcer les employés d’agences du Parlement, comme le vérificateur général, à révéler leurs affiliations politiques des 10 dernières années. Les ex-vérificateurs Sheila Fraser et Denis Desautels ont dénoncé le projet comme une chasse aux sorcières.

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