Harper exclut le mot «colonie» de son vocabulaire

La colonisation est la source de vives tensions entre Israël et les Palestiniens. Des manifestations ont lieu régulièrement.
Photo: Associated Press Majdi Mohammed La colonisation est la source de vives tensions entre Israël et les Palestiniens. Des manifestations ont lieu régulièrement.

Le premier ministre Stephen Harper s’envole ce samedi pour son premier voyage en Israël avec une importante délégation composée de ministres, d’élus et de gens d’affaires. Mais une chose ne fait pas partie de son bagage : le mot « colonisation ». Si officiellement le Canada considère encore les colonies juives en territoires occupés comme illégales, le gouvernement de M. Harper, et le porte-parole du premier ministre, refuse désormais d’utiliser ce mot, et encore moins de le qualifier.

 

Les colonies sont au coeur des tensions qui animent le Moyen-Orient. Sur une base régulière, Israël annonce la construction d’habitations dans les territoires qu’il occupe illégalement, selon le droit international, depuis 1967. Cette colonisation contribue à diminuer la superficie du territoire que pourrait un jour revendiquer un futur État palestinien et est à ce titre régulièrement condamnée par la communauté internationale. Le Canada, lui, ne les a plus condamnées par la voix de ses politiciens depuis que Stephen Harper est en poste. Alors, à la veille de ce voyage au Moyen-Orient, le Canada demande-t-il toujours à Israël de cesser la colonisation ?

 

Au cours d’une séance d’information préalable au voyage de M. Harper, son porte-parole, Jason MacDonald, a obstinément refusé de répondre à cette question. Il a répété des dizaines de fois que « le premier ministre a été clair que les actions unilatérales par l’une ou l’autre des parties ne permettent pas d’atteindre les objectifs que j’ai exposés [la création de deux États] ». Il a répété ad nauseam l’expression « action unilatérale », mais en refusant toujours de dire si la colonisation constituait une telle action. « Une action unilatérale est une action qui n’a pas été négociée », s’est borné à dire Jason MacDonald. Il a aussi souvent indiqué que « ces questions feront l’objet d’une négociation entre les deux parties », laissant entendre par là que l’occupation illégale de territoires pouvait faire l’objet de tractations valides.

 

Ambiguïté

 

Le hic, c’est que le site Internet du ministère des Affaires étrangères indique que « le Canada ne reconnaît pas le contrôle permanent exercé par Israël sur les territoires occupés en 1967 » et que « les colonies de peuplement israéliennes dans les territoires occupés sont contraires à la quatrième Convention de Genève ». Le site Internet est-il encore valide ? ont demandé les journalistes. « La politique du Canada est celle que le premier ministre a énoncée », a répondu Jason MacDonald.

 

Selon le professeur de l’UQAM Rachad Antonius, sociologue spécialiste du Moyen-Orient, cette ambiguïté est volontaire. « Stephen Harper n’est pas contre l’annexion et les colonies, mais il ne peut pas le dire officiellement car cela irait à l’encontre du droit international. Les juristes du ministère des Affaires étrangères ne permettraient pas qu’un gouvernement aille autant à l’encontre du droit international. » Selon lui, le refus des politiciens conservateurs de prononcer eux-mêmes la politique écrite du Canada sert à mettre de la pression sur les Palestiniens.

 

« La stratégie consiste à tordre le bras des Palestiniens pour qu’ils en arrivent eux-mêmes à signer un accord accordant à Israël le contrôle des territoires colonisés. » Les références répétées à la « négociation » lorsqu’on interroge le gouvernement sur la colonisation semblent avaliser la théorie du professeur Antonius.

 

M. Antonius rappelle que cette quatrième Convention de Genève à laquelle le site du ministère fait référence stipule qu’en droit international, une puissance occupante ne peut pas installer sa propre population sur le territoire qu’elle occupe ni ne peut en expulser la population originale. M. Antonius rappelle qu’il y a maintenant environ 360 « checkpoints » sur le territoire palestinien, qui « découpent la Cisjordanie en 64 petits morceaux et empêchent les Palestiniens de circuler d’un morceau à l’autre ».

 

Premier voyage

 

Bien que le gouvernement conservateur ait affiché un appui indéfectible à l’État d’Israël, c’est la première fois que Stephen Harper s’y rend. Il arrivera dimanche en Israël et y restera jusqu’à mercredi, avec un hiatus le lundi pour se rendre en Cisjordanie rencontrer le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Il rencontrera le président et le premier ministre israéliens, Shimon Peres et Benjamin Nétanyahou. Il s’adressera à la Knesset, une première pour un premier ministre canadien. M. Harper se rendra aussi dans la vallée Houla pour l’inauguration d’une réserve ornithologique qui portera son nom. Il recevra également un doctorat honorifique de l’Université de Tel-Aviv. Il terminera son voyage par un passage de trois jours en Jordanie, où il rencontrera le roi Abdallah II et le premier ministre.

 

Pour l’occasion, le premier ministre sera accompagné d’une très importante délégation dont on refuse pour l’instant de dévoiler la composition complète. Tout au plus sait-on que les ministres John Baird, Christian Paradis, Ed Fast, Jason Kenney et Joe Oliver seront de la partie, tout comme le président du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, Shimon Fogel. Une trentaine de personnes du milieu des affaires et d’autres intervenants interpellés par la question du Moyen-Orient seront aussi de la partie, selon le réseau CTV. Le chiffre de 200 participants au total a circulé, mais le porte-parole du premier ministre a indiqué qu’il « est peut-être un peu élevé ». Tous ces gens voyageront aux frais du gouvernement.

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