S.O.S. Canada

Ottawa — Il faut faire vite. Un autobus de touristes transportant une trentaine de Canadiens vient d’exploser au Raghadan. Acte terroriste ou accident ? On ne le sait pas encore, mais les fonctionnaires canadiens sont déjà à pied d’oeuvre pour récupérer les cadavres, rapatrier les survivants et émettre des documents d’urgence.
Comment ? Vous n’avez pas entendu parler de cette tragédie ? Vous n’arrivez pas à situer le Raghadan sur une carte de l’Asie centrale ? Normal. C’est parce que l’événement ne s’est produit que dans l’imagination de quelques dizaines de fonctionnaires fédéraux, dans une petite ville de l’Est ontarien rebaptisée pour l’occasion du nom d’un pays imaginaire à vague consonance perse. Soyez les bienvenus dans l’Équipe permanente de déploiement rapide du Canada.
Premier anniversaire
L’Équipe permanente de déploiement rapide (EPDR) est une entité qui célèbre son premier anniversaire ce mois-ci. Rares sont ceux qui en ont entendu parler, et le site du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement n’est pas très bavard à son sujet.
C’est à la suite d’une série de situations d’urgence touchant des Canadiens à l’étranger, en particulier l’évacuation en 2006 de 30 000 personnes du Liban pilonné, que le gouvernement canadien a ressenti le besoin de se doter d’une équipe volante capable d’intervenir rapidement pour coordonner les services à prodiguer, consulaires notamment. La Grande-Bretagne et les États-Unis disposent déjà d’unités similaires. Un bassin d’environ 600 bénévoles a d’abord été constitué, puis, en décembre 2012, l’EPDR a été lancée.
L’Équipe est composée de 75 fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, basés non seulement au quartier général d’Ottawa, mais un peu partout à travers le monde. Ces fonctionnaires occupent des postes réguliers et ne revêtent leurs atours de superhéros que lorsqu’un drame survient. Ils sont éparpillés un peu partout sur le globe pour pouvoir arriver plus rapidement sur les lieux de la tragédie. Ils doivent être prêts à s’envoler dans les heures suivant un appel.
Quatre interventions
En un an, l’EPDR a déjà été dépêchée quatre fois, explique le porte-parole du ministère, Mathieu Roy : à Boston, à la suite de l’explosion au marathon, à Nairobi, quand des tireurs fous ont assailli un centre commercial et tué au moins 72 personnes, dont deux Canadiens, à Lima, lorsqu’un accident d’autobus, justement, a affecté des Canadiens, et à Manille, dans la foulée du typhon ayant ravagé les Philippines.
Ces 75 fonctionnaires reçoivent une formation d’une semaine des plus particulières. Après deux jours d’explications théoriques sur les façons d’établir rapidement un poste de commandement, d’assurer en continu le bien-être du personnel et d’intervenir auprès de personnes en détresse, les fonctionnaires doivent mettre en pratique leurs apprentissages au cours d’une simulation de trois jours sur le terrain.
Les participants reçoivent généralement un appel aux petites heures du matin leur apprenant ce qui vient de se produire, où ils doivent se rendre et quels types de vêtements apporter. Ils sont ensuite emmenés vers le lieu de la tragédie imaginaire, non sans faire mille détours, question de bien les désorienter. L’idée est de recréer l’état d’esprit (déboussolé) et de corps (fatigué) dans lequel ils se trouveront lorsqu’un véritable drame se produira.
Aux fins de la plus récente formation prodiguée cet automne, un autobus rempli de Canadiens avait explosé et les fonctionnaires devaient tout à la fois assurer leur propre sécurité et dispenser les services consulaires aux survivants tout en les rassurant. Empathie et sang-froid requis.
Déstabilisation garantie
Ce sont des comédiens de l’entreprise britannique GroundTruth qui animaient la mise en scène, par ailleurs très réaliste, avec du sang un peu partout. Un des comédiens jouait le rôle d’un militaire despotique qui faisait bien comprendre à ces petits Canadiens venus se mêler de ce qui ne les regardait pas que leurs papiers n’étaient pas en règle et qu’ils seraient renvoyés dare-dare chez eux s’ils ne gardaient pas le profil bas ! « Il nous faisait tous chier », confie un des participants. C’était le but de l’exercice. D’autres comédiens jouaient les survivants hystériques. Tout cela alors que les participants devaient sans cesse penser à leur propre confort et sécurité en établissant un quartier général à l’abri de pilleurs éventuels. Les journées étaient très longues, les nuits, courtes, et l’équipe devait déménager sans cesse. Déstabilisation garantie.
GroundTruth Consulting Ltd est une entreprise spécialisée dans la gestion de crises en milieu hostile, explique au Devoir son porte-parole, Jon Goodwill. « Nos employés et consultants ont des expériences diverses dans le milieu du développement international, de la sécurité, de la médecine, de l’aide humanitaire, du militaire », énumère-t-il.
Ses formateurs ont vécu eux-mêmes des expériences directes dans la gestion de crises à l’étranger. Les comédiens embauchés pour les contrats avec le Canada sont à 70 % de nationalité canadienne.
GroundTruth se fait discrète sur sa clientèle, mais admet desservir d’autres gouvernements nationaux, les Nations unies ainsi que des entreprises.