Canada - Surreprésentation des minorités visibles dans les pénitenciers

En dépit d’une forte augmentation de la population carcérale visible dans les pénitenciers canadiens, l’enquêteur correctionnel canadien met en garde contre la tentation d’y lire une américanisation des prisons canadiennes. Ci-dessus, un gardien escorte un immigrant dans une prison californienne.
Photo: Agence France-Presse (photo) John Moore/Getty Images En dépit d’une forte augmentation de la population carcérale visible dans les pénitenciers canadiens, l’enquêteur correctionnel canadien met en garde contre la tentation d’y lire une américanisation des prisons canadiennes. Ci-dessus, un gardien escorte un immigrant dans une prison californienne.

Ce fut longtemps un reproche adressé aux prisons américaines et il s’applique désormais à celles du Canada. Les Noirs et les autochtones constituent une proportion démesurée de la population carcérale et leur présence derrière les barreaux a explosé au cours des dix dernières années.

Depuis 2003, le nombre de Noirs incarcérés dans des prisons fédérales a augmenté de 80 % et celui des autochtones, de 46 %, tandis que le nombre de personnes blanches a diminué, lui, de 3 %. « L’augmentation récente de la population carcérale est presque exclusivement due à la croissance du nombre de délinquants de différentes origines ethniques et culturelles », conclut l’enquêteur correctionnel, Howard Sapers, dans son rapport annuel déposé mardi au Parlement. Il y note qu’en 2013, les Noirs représentent 9,5 % de tous les prisonniers fédéraux alors qu’ils ne forment que 2,9 % de la population canadienne générale. Ce déséquilibre existe aussi pour les autochtones, eux qui constituent le quart de tous les détenus, mais 4,3 % de la population du pays.

Le bureau de M. Sapers a mené une étude de cas sur la situation des Noirs en prison et le constat est troublant : ils y font l’objet d’une discrimination systémique sournoise. La statistique la plus révélatrice à ce chapitre porte sur les reproches adressés aux détenus par le personnel. Les Noirs sont surreprésentés dans les catégories d’accusations que l’enquêteur correctionnel qualifie de « discrétionnaires ou nécessitant un jugement de la part des agents correctionnels » : manquer de respect envers le personnel (13 %), désobéir à un ordre (21 %), compromettre la sécurité de l’établissement (24 %).

Pourtant, ces mêmes Noirs « fauteurs de troubles » (comme ils sont souvent appelés, note le rapport) deviennent des anges lorsqu’il s’agit de reproches objectifs. Ils « étaient toujours sous-représentés parmi ceux accusés d’avoir en leur possession des objets volés, d’avoir commis un vol, d’avoir endommagé ou détruit des biens et de posséder des articles interdits », écrit Howard Sapers.

Autre illustration de ce biais systémique : les détenus de race noire présentent des taux de récidive moins élevés ; pourtant, « ils ont toujours été plus susceptibles que la population carcérale générale d’être emprisonnés dans un établissement à sécurité maximale ». Ils sont aussi sous-représentés quant au nombre de détenus bénéficiant de permissions de sortir avec ou sans escorte.

En outre, l’étude menée par l’enquêteur correctionnel fait voler en éclats le mythe du délinquant noir violent. Les catégories de crimes pour lesquels ils sont condamnés sont les mêmes, et dans les mêmes proportions, que pour les autres prisonniers. Seule différence : les détenus noirs sont 30 % moins souvent condamnés pour des crimes de nature sexuelle que les autres détenus.


Comme ailleurs

Si cette surreprésentation des minorités visibles dans les prisons fédérales ressemble à ce qui se constate aux États-Unis, Howard Sapers met en garde contre la tentation d’y lire une américanisation des prisons canadiennes. « Il y a une expérience commune à travers le monde. Si on parlait de la Nouvelle-Zélande, on parlerait de la présence disproportionnée des Maoris, si nous étions en Australie, ce serait celle des aborigènes, et aux États-Unis, ça a tendance à être des gens de couleur. Alors oui, il y a un parallèle en ce sens. Mais il y a des politiques très différentes dans tous ces pays. »

Le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, n’a pas semblé ému par cette avalanche de chiffres. « La seule minorité à laquelle nous nous intéressons vraiment est celle des criminels », a dit de manière un peu énigmatique le ministre. « Je crois que nous prenons soin de tous les détenus d’une manière équitable et adéquate. »

L’enquêteur correctionnel hésite aussi à voir un lien direct entre cette explosion soudaine de la population carcérale visible et l’arrivée du gouvernement conservateur au pouvoir. Les raisons systémiques sont profondes, dit-il. Elles vont du biais dans la sélection des membres du jury, comme cela s’est vu en Ontario, à l’attitude des policiers. « Cela va bien au-delà des décisions législatives d’un gouvernement en particulier à un moment particulier. »

Il faut cependant s’en préoccuper, selon lui. « Notre système de justice est présenté comme un modèle dans le monde et je pense que nous devons faire tout en notre possible pour nous assurer que nous méritons cette réputation internationale. »

De manière générale, le commissaire se plaint dans son rapport de l’accroissement de la population carcérale alors que l’espace disponible, lui, n’augmente pas au même rythme. Désormais, presque 21 % des prisonniers fédéraux vivent à deux dans des cellules conçues pour n’en accueillir qu’un seul. L’ancien ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, avait déjà déclaré qu’il ne voyait aucun problème avec l’occupation double, même si tous les spécialistes de la question s’entendent pour dire que cela fait augmenter la violence dans les prisons. D’ailleurs, M. Sapers note dans son rapport que la version revue cette année de la Directive sur le logement des détenus « élimine deux principes de longue date », à savoir que la cellule individuelle est la forme de logement « la plus souhaitable » et que la double occupation « n’est pas une forme de logement à long terme appropriée ».

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