Assurance-emploi - L’accès à l’information avant l’accès au dossier

Service Canada exige désormais des chômeurs qu'ils fassent une demande d’accès à l’information pour consulter leur dossier d'assurance-emploi.
Photo: François Pesant Le Devoir Service Canada exige désormais des chômeurs qu'ils fassent une demande d’accès à l’information pour consulter leur dossier d'assurance-emploi.

Les chômeurs devront dorénavant faire une demande d’accès à l’information pour obtenir leur dossier personnel s’ils désirent le consulter avant de demander la révision d’une décision négative de Service Canada, a appris Le Devoir.

 

« Toute copie d’une information contenue au dossier doit être obtenue par le biais d’une demande d’accès à l’information », a confirmé le ministère dans une lettre envoyée le 27 août au Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE). Ce dernier l’a transmise mardi au Devoir.

 

Les demandes seront présentées en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Loi prévoit un délai pouvant aller jusqu’à 60 jours pour qu’une institution gouvernementale réponde à une demande d’accès. La Commission de l’assurance-emploi (CAE) accorde quant à elle 30 jours à un chômeur pour qu’il demande une révision d’une décision négative. Des dossiers pourraient donc être acheminés trop tardivement.

 

Le nouveau système d’appel pour l’assurance-emploi prévoit que toute décision contestée doit d’abord faire l’objet d’une révision obligatoire. La CAE reprend alors le dossier qu’elle vient de refuser, et voit s’il y a lieu de modifier la décision.

 

À l’étape de la révision, il est possible pour le chômeur de fournir de nouveaux renseignements qui seront considérés par la Commission. Si la décision négative est maintenue, le chômeur peut déposer un appel officiel auprès du Tribunal de la sécurité sociale (TSS).

 

Tel que Le Devoir l’indiquait en juin, ce n’est qu’au moment d’un appel devant le TSS que la CAE assemble les documents sur lesquels sa décision est fondée et transmet le dossier d’appel aux parties intéressées.

 

Processus amélioré, dit Ottawa

 

Au bureau du ministre de l’Emploi et du Développement social, Jason Kenney, on fait valoir que l’étape de la révision donne une chance au prestataire d’obtenir une décision favorable avant de « se soumettre à un long et coûteux processus d’appel sans qu’il ne sache s’il manquait des pièces justificatives importantes ».

 

« Avec cette nouvelle étape, le processus est amélioré en ce sens qu’il donne la chance au prestataire de fournir toutes les pièces nécessaires, pour ne pas risquer un refus par défaut de ne pas les avoir soumises,indique-t-on. Si la décision s’avère négative, le prestataire saura que le refus est basé sur la substance de sa demande et non pas sur le processus. »

 

Mais pour avoir la « chance de fournir les pièces nécessaires », encore faudrait-il que le chômeur sache ce qu’il manque, rétorque Pierre Céré, du Conseil national des chômeurs. « Ce n’est pas vrai de dire que la Commission indique au chômeur ce qu’il manque », dit-il en soulignant le « manque de services et de communications de première ligne ».

 

Au Mouvement action chômage de Montréal (MACM), l’avocat Jacques Beaudoin fait valoir que le recours à l’accès à l’information « risque de provoquer des délais supplémentaires ». Le MASSE exprime la même crainte, et ajoute que « la directive de ne plus transmettre les dossiers contrevient aux principes de justice naturelle et à l’équité procédurale ». Les chômeurs devront « soumettre leurs arguments sans connaître précisément les motifs de refus de leur demande de prestations », dénonce-t-on.

 

Le Barreau inquiet

 

Devant la Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi présidée par Gilles Duceppe, le Barreau du Québec s’était inquiété cet automne du processus de révision administrative. Trois « faiblesses » étaient montrées du doigt, notamment le fait que la Commission « n’a aucune limite de temps pour traiter le dossier », et le fait que les fonctionnaires qui mènent la révision « appartiennent à la même organisation » que ceux qui ont rendu la décision initiale.

 

Mais on soulignait surtout que le « formulaire de révision ne prévoit pas la communication préalable des faits et des motifs à l’origine de la décision défavorable, ni de lien informatique pour obtenir cette preuve ».

 

Le Barreau remarquait que depuis l’introduction de la révision en avril 2013, « le modus operandi » variait d’un dossier à l’autre. « Selon les praticiens interrogés, il semble que lorsqu’un prestataire agit sans l’aide d’un représentant, la CAEC ne divulgue au prestataire ni sa preuve ni ce qui lui est reproché explicitement. La Commission fait preuve de plus de transparence lorsqu’elle est confrontée à un prestataire accompagné d’un représentant », lit-on dans le mémoire du Barreau.

 

Les intervenants interrogés mardi confirment le caractère aléatoire des traitements, jusqu’à ce que la directive sur l’accès à l’information devienne officielle. « La directive de ne plus transmettre de dossiers date de juin, mais on pouvait encore récemment en obtenir quand même, dit Jacques Beaudoin. Les agents-réviseurs nous contactaient et on obtenait le dossier de nos clients en quelques jours, ce qui permettait de vérifier s’il y avait lieu d’aller en révision. »

 

D’autres agents proposaient de « lire au téléphone les éléments recherchés », selon Pierre Céré. Dans certains cas, les dossiers ont été transmis après avoir été caviardés, dit-il.

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