Liste d'«ennemis» - Ottawa doit changer de ton, disent les organismes visés

Ottawa — Des douzaines de groupes de la société civile canadienne n’ont pas digéré que le bureau de Stephen Harper ait dressé une « liste d’ennemis » du gouvernement, en prévision du remaniement ministériel d’il y a deux semaines. Les organismes espèrent encore que le premier ministre va publier cette liste, et surtout changer de ton à leur égard.
Rassemblant quelque 200 groupes de la société civile, professeurs et experts en droit, Voices-Voix a envoyé une lettre au premier ministre il y a dix jours. La missive - publiée mardi dans notre page Idées - sommait M. Harper de confirmer publiquement que cette liste, si elle existe, ne serait pas utilisée, « qu’aucune autre ne sera dressée et qu’il est inacceptable d’accoler une telle terminologie aux critiques du Parti conservateur ».
S’il n’est pas nouveau que les gouvernements prennent note, de façon non officielle, des groupes ou médias qui critiquent certaines de leurs politiques, le ton a changé depuis quelques années, s’inquiète Alex Neve, secrétaire général de la section canadienne d’Amnistie internationale et l’un des signataires de la lettre. Certains groupes ont vu leur financement réduit, ou carrément coupé, d’autres se sont sentis « ciblés et punis parce qu’ils avaient une position critique à l’endroit du gouvernement. […] Ceci ne fait qu’accroître cette inquiétude », a-t-il affirmé en entrevue téléphonique cette semaine.
Les signataires de la lettre en ont surtout contre le mot « ennemi ». « Ce n’est qu’un mot, mais c’est un mot lourd de sens, dans une situation très tendue. Et nous aimerions que le gouvernement s’en détache », a fait valoir M. Neve. Les organismes doivent maintenant entendre « des paroles rassurantes » de la part du premier ministre. Le gouvernement devrait reconnaître publiquement « le rôle important qu’il a dans la société canadienne, et l’importance du désaccord et de la dissidence. C’est ce qui fait une démocratie vibrante et en santé », a-t-il dit.
M. Neve espère une réponse, et de la plume du premier ministre. M. Neve a cependant reconnu qu’il était bien conscient qu’il faut d’ordinaire quelques semaines, voire quelques mois, avant d’obtenir réponse à ce genre de correspondance.
Au bureau du premier ministre, on a confirmé avoir reçu la missive. La réponse viendra, a-t-on assuré. Le délai habituel est « généralement [de] quelques semaines, [et] toutes les réponses sont signées », a indiqué le porte-parole de M. Harper, Carl Vallée. Il n’a toutefois pas précisé si M. Harper dévoilera la liste, comme demandé.
L’existence d’une « liste d’ennemis » a été révélée au lendemain du remaniement ministériel de la mi-juillet. Des médias ont rapporté que l’entourage du premier ministre avait demandé que soient inclus aux notes d’information qui sont remises aux nouveaux ministres, pour les préparer à leurs nouvelles fonctions, une liste des groupes environnementaux ou sociaux, fonctionnaires et journalistes, répartis dans deux catégories : « qui contacter ou éviter : intervenants amis et ennemis ». Les employés politiques étaient aussi invités à noter les enjeux pressants pour le nouveau ministre, et des réponses à offrir à la période des questions.