
Printemps 2013 : Sessio horribilis pour Stephen Harper

Puis, ce sont les changements apportés au programme de l’assurance-emploi qui enflamment les foules. On s’insurge contre le fait que les chômeurs fréquents devront accepter plus rapidement des emplois moins bien rémunérés, plus éloignés de leur résidence et moins liés à leurs compétences. Le ton monte quand les médias lèvent le voile sur les méthodes d’enquête musclées des enquêteurs et révèlent que ces derniers ont des quotas de prestations à éliminer. Pendant des semaines, la ministre responsable des Ressources humaines, Diane Finley, est interpellée à la Chambre des communes.
Début février, le gouvernement conservateur demande à la Cour suprême du Canada s’il peut, unilatéralement, instaurer des élections sénatoriales et limiter la durée du mandat des sénateurs. Ses adversaires crient à l’opportunisme : ce renvoi, disent-ils, aurait pu être fait dès 2006, alors que les réformes étaient bloquées par la situation minoritaire. Au lieu de quoi le gouvernement le fait en situation majoritaire, alors qu’il a maintenant le feu vert parlementaire pour aller de l’avant. L’annonce tombe toutefois vite dans l’oubli car, sur le front sénatorial, d’autres sujets accaparent désormais l’attention.
D’abord, le conservateur Patrick Brazeau est arrêté et accusé d’agression sexuelle. Deux semaines plus tard, Mike Duffy et Pamela Wallin remboursent une partie de leurs dépenses contestées. (Ce n’est que trois mois plus tard qu’on découvrira la source des 90 000 $ de M. Duffy…) Puis, le défenseur de la loi et de l’ordre Pierre-Hugues Boisvenu se retrouve dans le pétrin parce qu’il entretient une liaison amoureuse avec son adjointe parlementaire, Isabelle Lapointe, ce qui est contraire aux règles. Mme Lapointe est relocalisée au Sénat, et on apprendra plus tard que le sénateur a tenté de lui obtenir plus de semaines de vacances.
Vers la fin de mars, le gouvernement conservateur dépose son budget 2013 qui, de l’avis de tous les analystes, trahit un essoufflement. Contrairement au précédent, qui chamboulait plusieurs lois environnementales, l’opus 2013 ne contient aucune grande réforme immédiate, si ce n’est celle des tarifs douaniers. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, vante l’abaissement des tarifs (de 76 millions de dollars par année) sur certains équipements sportifs et pour bébés, mais passe sous silence la hausse de tous les autres, totalisant… 333 millions de dollars !
Le gouvernement s’attire les critiques des provinces à cause de son intention, annoncée dans ce budget, de réorganiser les sommes leur étant consenties pour la formation de la main-d’œuvre. Il se fait reprocher de publiciser à grands frais — pendant les séries de la Coupe Stanley — la future subvention à l’emploi, qui n’a pas encore été négociée avec les provinces et que celles-ci ont, par l’intermédiaire du Conseil de la fédération, unanimement condamnée.
C’est dans ce vide budgétaire qu’un certain Mark Warawa manifeste son malaise par rapport à la ligne de parti inflexible à laquelle il est soumise. Non seulement sa motion dénonçant les avortements sexo-sélectifs est-elle tuée dans l’œuf, mais son parti l’empêche de dénoncer son musellement à la Chambre des communes. Une minirévolte de l’arrière-banc couve. Elle se soldera, deux mois plus tard, par le départ du député Brent Rathgeber.
Quand, à la mi-mai, le réseau CTV révèle que Mike Duffy a remboursé le Sénat grâce à un chèque signé du chef de cabinet de M. Harper, Nigel Wright, le gouvernement perd complètement le contrôle de l’ordre du jour. M. Duffy et Mme Wallin sont expulsés du caucus. M. Wright démissionne et la Gendarmerie royale ouvre une enquête sur lui pour « abus de confiance ».
Dans ce contexte, même les contre-attaques conservatrices, d’ordinaire si efficaces, ne réussissent pas à détourner l’attention. Les conservateurs n’avaient pas aussitôt accusé les députés néodémocrates Tyrone Benskin et Hoang Mai de ne pas avoir payé tous leurs impôts qu’on découvrait que l’ex-directeur des communications et proche conseiller de M. Harper, Dimitri Soudas, avait été forcé par un tribunal de payer les siens à Revenu Québec. Apprend-on que Thomas Mulcair a été suivi par une autopatrouille sur la colline parlementaire pour avoir omis de s’identifier à la barrière de sécurité que dès après la députée conservatrice Eve Adams (accessoirement fiancée de M. Soudas) écope d’une contravention sur cette même colline pour avoir parlé au téléphone tout en conduisant. Reproche-t-on à Justin Trudeau d’avoir monnayé ses discours prononcés pour des organismes de bienfaisance qu’aussitôt on apprend que le sénateur conservateur Jacques Demers reconnaît qu’il fait de même avec les organismes en alphabétisation à qui il s’adresse régulièrement.
Cette succession de « scandales » fait ombrage au bilan législatif du gouvernement, qui n’en est pas moins bien réel. Les C-54, C-377 et C-309 ont cheminé discrètement. Un remaniement ministériel est attendu cette semaine ou la suivante. Tout indique que Stephen Harper demandera aux ministres n’ayant pas l’intention de se présenter aux prochaines élections de céder leur siège à la relève. Rob Nicholson (Justice), Vic Toews (Sécurité publique), Diane Finley (éprouvée par le décès récent de son mari, le sénateur Doug Finley) pourraient partir. Atteint d’un cancer, Keith Ashfield (Pêches et Océans) a demandé d’être relevé de ses fonctions. Le sort de Jim Flaherty reste quant à lui incertain, lui qui a exprimé le désir de rester jusqu’à l’élimination du déficit (espérée en 2015-2016) mais qui souffre d’une maladie de peau grave. M. Flaherty ne s’est présenté qu’à neuf des 46 périodes de questions depuis son budget.
Les nouveaux visages le plus souvent évoqués sont Michelle Rempel, jeune trentenaire frondeuse qui s’est fait valoir en donnant la réplique sur le front environnemental, Candice Bergen, qui s’est démarquée en luttant pour l’abolition du registre des armes à feu, l’ex-ambassadeur en Afghanistan Chris Alexander et Eve Adams, dépêchée de plus en plus souvent devant les caméras pour livrer le message officiel du gouvernement. La Chambre des communes serait prorogée vers la fin de l’été pour permettre au gouvernement de revenir avec un discours du Trône, probablement en octobre.
La question est maintenant de savoir quel effet aura le congrès bisannuel du Parti conservateur, cette semaine à Calgary. Les débats sur l’abolition du financement public de la Société Radio-Canada feront sûrement plaisir à la base. Mais le désir de certains de revoir les règles de sélection du chef, en accordant un vote à chaque militant plutôt que d’accorder à chaque circonscription un poids égal quel que soit son nombre de militants, pourrait faire saillir la ligne de fracture entre anciens réformistes de l’Ouest et progressistes-conservateurs de l’Est, le ministre de la Défense Peter MacKay en tête. Sans compter que les journalistes seront à l’affût des Mark Warawa et Brent Rathgeber de ce monde, qui sont peut-être eux aussi déçus des gestes posés par leur parti.
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Les principaux projets de loi qui ont été adoptés:
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louis cossette - Inscrit 22 juin 2013 09 h 19
C-377
Harper aurait eu avantage à adopter une telle mesure pour les sénateurs qui s'en mettent plein les poches à nos dépens.
Franklin Bernard - Inscrit 22 juin 2013 09 h 34
Quand on crache en l'air...
Lisez la liste des principaux projets de loi adopés (et on ne parle pas des autres), et faites le compte de ceux à caractère coercitif ou punitif ou restrictif. La majorité. Ce gouvernement ne connait que le bâton. Il ne gouverne pas pour les Canadians, il gouverne contre les Canadiens. Et ça va aller en s'aggravant au cours des deux ans qui leur restent (que c'est long, deux ans!), vu que leur prochaine déconfiture électorale est plus que probable aux mains des libéraux de Justin Trudeau.
Quand on crache en l'air...