Le nouveau Canada de Harper

Jim Flaherty a croisé les journalistes à l’entrée de la Chambre des communes avant de dévoiler son budget.
Photo: La Presse canadienne (photo) Sean Kilpatrick Jim Flaherty a croisé les journalistes à l’entrée de la Chambre des communes avant de dévoiler son budget.

Le budget déposé cette semaine par le gouvernement Harper soulève la colère au Québec, chez les syndicats et au sein des groupes communautaires. Mais ailleurs au Canada, on applaudit au « nation building » à la façon conservatrice.

«Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, nous formons un gouvernement conservateur », dit en souriant un membre du gouvernement Harper. Les 481 pages du budget fédéral, déposé jeudi à Ottawa, ajoutent une pierre de plus à l’édifice canadien façonné par Stephen Harper. Petit à petit, sept ans après avoir pris le pouvoir, le premier ministre conservateur est en train de rénover la nation canadienne à son image.


Ce Canada, Stephen Harper le veut calqué sur « l’efficacité » du secteur privé. Un Canada où le gouvernement s’impose un régime minceur, intervient peu dans la vie des citoyens et élimine les obstacles à la libre circulation des biens et des services. Un Canada conservateur, quoi.


Encore une fois, comme cela se produit à chaque budget depuis le premier de l’ère Harper, au printemps 2006, les partis de l’opposition, les syndicats et les groupes de lutte contre la pauvreté ont poussé les hauts cris, mais le gouvernement s’en fout : Stephen Harper n’en fait qu’à sa tête. Et il assume toutes ses décisions. Le premier ministre sait qu’une frange importante de la population restera toujours en désaccord avec ses choix. Mais il gouverne en fonction des 40 % d’électeurs à tout le moins réceptifs aux idées conservatrices.


Quelle tempête ?


Prenez par exemple la tempête soulevée au Québec par l’initiative fédérale dans la formation de la main-d’oeuvre. Contrairement à ses habitudes, le gouvernement Harper n’hésite pas à imposer ses conditions au financement de ce programme situé en plein champ de compétence provinciale. Plus encore, Ottawa accorde un rôle inédit aux entreprises, qui établiront elles-mêmes les programmes de formation répondant à leurs besoins. « Les entreprises connaissent mieux [leurs besoins en formation] que nous à Ottawa », a soutenu le ministre Maxime Bernier, en entrevue avec Le Devoir. Il dit être certain qu’Ottawa et les provinces parviendront à s’entendre.


Les conservateurs affichent le même détachement devant la levée de boucliers entourant l’élimination progressive du crédit d’impôt de 15 % sur les actions de fonds de travailleurs, comme ceux de la FTQ et de la CSN. Ces fonds, créés dans les années 1980, livrent une « concurrence déloyale » aux autres fonds privés, affirme M. Bernier.

 

Une cible de choix


Les syndicats, alliés traditionnels du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique (NPD), représentent une cible de choix pour les conservateurs. Le budget fédéral de cette semaine annonce une bataille en règle entre le gouvernement et les 278 000 employés de la fonction publique, dont la plupart des contrats de travail viennent à échéance l’an prochain.


Ottawa compte s’inspirer de la Colombie-Britannique et de l’Ontario pour renégocier toutes les conditions de travail des fonctionnaires, des salaires aux avantages sociaux. Les 15 congés de maladie accumulables par année se trouvent dans la ligne de mire d’Ottawa.


Le gouvernement Harper est convaincu que les « Canadiens ordinaires » applaudiront à cette mise au pas des employés syndiqués de la fonction publique, dont les avantages sociaux font l’envie des travailleurs du secteur privé. Les conservateurs font le même pari avec le resserrement des règles de l’assurance-emploi. Malgré la controverse au Québec et dans les provinces de l’Atlantique, Ottawa affirme agir dans l’intérêt de la fameuse majorité silencieuse.


Dans la même veine, le gouvernement a annoncé jeudi que les jeunes autochtones devront désormais suivre des programmes de formation pour toucher certaines formes d’aide au revenu. « Des mesures paternalistes, insultantes », a lancé vendredi le député néodémocrate Romeo Saganash, aux Communes.


Ces critiques glissent sur les conservateurs comme sur le dos d’un canard, parce que les troupes de Stephen Harper savent que leurs décisions plaisent à leur base électorale. Le budget 2013 comporte plusieurs annonces visant le fameux « monde ordinaire », ces résidants de la banlieue qui « travaillent dur, conduisent leurs enfants au soccer le samedi matin et prennent leur café chez Tim Hortons plutôt que chez Starbucks ».


Cette base électorale conservatrice a fait des pressions intenses sur le gouvernement pour qu’il atteigne l’équilibre budgétaire avant les prochaines élections, prévues en octobre 2015. C’est pourquoi Stephen Harper a réprimandé publiquement son ministre des Finances pour qu’il parvienne au déficit zéro d’ici deux ans.


Le gouvernement est allé encore plus loin en annonçant des mesures symboliques pour « réduire la paperasse » tout en économisant : la bureaucratie fédérale évitera autant que possible d’imprimer les documents offerts en version électronique, réduira les frais de déplacement en prônant les conférences téléphoniques et fera un ménage dans le système de gestion des courriels gouvernementaux. Des économies de quelques dizaines de millions sur un budget total de l’ordre de 300 milliards, c’est bien peu, mais, pour le gouvernement, « il n’y a pas de petites économies ».


Cette stratégie axée sur « l’efficacité » et sur les résultats a semblé plaire à l’influent quotidien The Globe and Mail, de Toronto, qui s’est réjoui de la « vitesse de croisière » atteinte par Stephen Harper. Peu importe ce qu’en pensent les mécontents.

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