Affaires étrangères - Colocation diplomatique canado-britannique

La colocation de bureaux entre diplomates canadiens et britanniques pourrait devenir de plus en plus courante, puisque les deux pays ont annoncé lundi avoir signé une entente pour faciliter ce « soutien mutuel » dans leurs missions à l’étranger. Une pratique qui, si peu répandue soit-elle pour le moment, risque grandement de miner l’indépendance diplomatique du Canada sur la scène internationale, selon d’anciens diplomates.
Les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont parlé d’une simple « entente administrative », permettant de déployer certains diplomates à moindres coûts. « Cette entente nous permet de nous concentrer sur une diplomatie intelligente et de faire la promotion du Canada à l’étranger, sans dépenser de grandes sommes d’argent des contribuables sur des briques et du mortier », a plaidé le ministre canadien, John Baird. Pas question de partager un ambassadeur ou de fusionner la politique étrangère des deux pays, a-t-il répété. Il s’agit simplement de profiter d’ambassades ou de consulats d’un allié, plutôt que de mettre sur pied une mission toute canadienne.
Pour l’instant, on compte seulement deux cas : un diplomate canadien profite présentement de l’ambassade britannique en Birmanie, tandis que les Britanniques travailleront dans les locaux des Canadiens en Haïti.
En point de presse au Parlement, M. Baird n’était pas en mesure de détailler la liste de pays où le Canada et la Grande-Bretagne pourraient à terme partager leurs bureaux diplomatiques.
« Nous ne pouvons pas être présents partout […] C’est le genre de coopération pratique que prennent ensemble des ministres des Affaires étrangères sensés dans un monde où il y a plus de centres de décision que jamais et où nous devons être présents dans plus d’endroits que jamais », a à son tour plaidé le ministre britannique William Hague, de passage à Ottawa.
Au bureau du ministre Baird, on insiste sur le fait que la pratique n’est pas nouvelle. Ce qu’a corroboré l’ancien ambassadeur canadien Michel Duval. « Mais si on en fait une politique d’économies d’échelle, ce qu’on risque de faire c’est de diminuer notre présence internationale », a-t-il toutefois expliqué.
D’autant plus que, peu importe l’allié, chacun peut se faire des ennemis au fil du temps, et le Canada devrait éviter de déployer son drapeau aux côtés de celui d’un autre, de peur d’hériter de ces futurs rivaux. « Quand on commence à être le meilleur ami des uns, on se fait des ennemis », a prévenu M. Duval, en entrevue avec Le Devoir.
« Les Britanniques n’ont pas un passé sans tache, et ce, même quant à certaines de leurs politiques des dernières années », a ajouté Gar Pardy, ancien haut responsable de la diplomatie canadienne. De fait, la politique étrangère des deux pays n’a pas toujours été identique. La Grande-Bretagne a notamment appuyé l’intervention américaine en Irak - à laquelle s’est opposé le Canada -, envoyant des soldats britanniques épauler les Américains sur le terrain.
L’hébergement de diplomates alliés dans les enceintes diplomatiques d’un pays n’a en effet rien de neuf, a concédé la néodémocrate Hélène Laverdière. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, les médias britanniques ont fait état d’une volonté de Londres de construire un réseau d’ambassades du Commonwealth pour rivaliser avec le réseau de l’Union européenne, a noté cette ancienne diplomate devenue députée. Une ampleur différente de celle accordée ici par le gouvernement canadien. Soit le ministre Baird ne connaît pas sa propre annonce, soit, face au tollé qu’elle a suscité au pays, il recule, a-t-elle dit.
« C’est un gouvernement qui n’a jamais compris le rôle de la diplomatie canadienne, un premier ministre qui n’aime pas le ministère des Affaires étrangères. Alors, nous payons le prix », a de son côté déploré le chef libéral par intérim Bob Rae qui, comme Mme Laverdière, s’inquiète du peu de détails de cette annonce et d’en voir plus tard plus de conséquences que prévu.