La fin de la diplomatie culturelle?

Le changement de cap dans la stratégie diplomatique canadienne s’affirme. Quelques jours après l’annonce de la fermeture de la bibliothèque du Centre culturel canadien à Paris, Le Devoir a appris l’abolition de 24 postes à l’ambassade du Canada à Berlin, dont trois à la culture et aux affaires publiques.
À Londres, l’ambassade du Canada ne compte déjà plus de section culturelle.
Le Centre culturel canadien à Paris, annexe de l’ambassade du Canada en France, n’emploie désormais que trois personnes strictement affectées aux programmes culturels, programmes qui formaient l’ADN même du centre.
Coupes à la chaîne
Ces compressions font écho aux suppressions, depuis 2008, de programmes visant à aider les artistes canadiens en représentation dans d’autres pays. Le gouvernement conservateur a éliminé d’abord Prom Art (4,7 millions de dollars), qui permettait aux artistes canadiens de se produire à l’étranger. La disparition de Routes commerciales (9,7 millions) a suivi, comme le Programme national de formation dans le secteur du film et de la vidéo, le Fonds canadien du film et de la vidéo indépendants, le Trust pour la préservation de la musique. Entre autres. Le ministre de Patrimoine canadien, James Moore, annonce régulièrement depuis une restructuration. Ce retour de l’argent sous une autre forme demeure, quatre ans plus tard, toujours intangible.
Il est difficile d’évaluer en dollars sonnants l’impact qu’ont les attachés culturels, ces diplomates de l’art canadien. Ils « sont des aides, des incitateurs à la tournée, des facilitateurs de contacts à l’étranger pour les troupes qui circulent ailleurs », explique la directrice du Conseil québécois du théâtre, Hélène Nadeau. Ils peuvent aider aux relations de presse, susciter des rencontres avec de nouveaux diffuseurs, contribuer, même, à trouver du financement dans les pays hôtes.
L’Union des artistes, le Conseil québécois du théâtre, la Conférence canadienne des arts et de nombreuses compagnies de danse ont déploré la réduction des postes d’attaché culturel. Pour le président de l’Union des artistes, Raymond Legault, « le gouvernement conservateur, depuis son arrivée, détruit systématiquement ce qui avait été mis en place pour le rayonnement international artistique. Comme les modifications sur la Loi d’auteur, ça suit une logique à très court terme, très comptable, où chaque dollar qu’on investit doit rapporter, sans compter pourtant certains effets collatéraux. On saccage un réseau de diffusion qui avait pris des années à se construire. On a coupé l’argent, maintenant on coupe les gens. Jusqu’à maintenant, on a vu Québec venir à la rescousse, mais à l’international, une province n’a pas le même poids qu’un pays », s’est-il désolé au cours d’un entretien téléphonique.
Embargo officieux
Londres, Paris et Berlin sont reconnus comme des lieux tremplins, essentiels pour essaimer dans les vieux pays. « L’ambassade du Canada à Berlin ainsi que le Centre culturel canadien à Paris se situent dans deux des capitales les plus importantes de l’Europe en ce qui concerne les investissements culturels, a précisé le chorégraphe de La La La Human Steps, Édouard Lock. L’Allemagne et la France sont des terrains d’échanges culturels incontournables et peuvent devenir des partenaires financiers déterminants pour les artistes d’ici. Réduire l’aide des ambassades et des structures diplomatiques est selon moi une erreur qui aura des conséquences néfastes sur l’expansion de la danse québécoise. »
Denis Bergeron, agent de tournée et de diffusion pour la danse contemporaine, a senti dès 2009 un changement d’attitude chez les responsables culturels fédéraux. « J’étais en tournée en Suède et en Norvège, où les diffuseurs m’ont dit ne plus obtenir l’appui du Canada. Un de nos représentants est venu me voir, non officiellement, en théâtre, me disant qu’il risquait une réprimande d’Ottawa si ses supérieurs apprenaient sa visite, a-t-il précisé en entrevue. L’embargo d’Ottawa sur la promotion de nos artistes, via les services culturels des ambassades, consulats et hauts-commissariats, je l’ai senti au Japon, en Australie, en Suède, en Norvège et au Danemark. Ces abolitions de postes à Berlin et à Paris, c’est un désastre. »
En 2008-2009, 38 pays ont été visités par des compagnies artistiques québécoises, aidées par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) ; 56 % des représentations ont été données en Europe. La France est le pays le plus visité. Toujours selon le CALQ, ces tournées ont généré des revenus de 22,9 millions de dollars, dont 15,2 millions en revenus de billetterie et en vente de spectacles.
De la culture à l’économie ?
Selon Ian Trishes, porte-parole aux Affaires étrangères, « le gouvernement du Canada est consciencieux dans son utilisation de l’argent des contribuables et déploie tous les efforts pour s’assurer que les ressources consacrées aux activités de diplomatie canadienne sont optimisées ».
Parallèlement aux coupes en diplomatie culturelle, Ottawa augmente les ressources allouées à sa représentation politique et commerciale en Asie. Le ministre des Affaires étrangères, John Baird, est actuellement en tournée en Chine et en Asie du Sud-Est, où il rencontre divers représentants gouvernementaux et chefs d’entreprise afin de servir « la croissance économique » et « la prospérité » des Canadiens, selon un communiqué d’Affaires étrangères et Commerce international Canada (AECIC).
Le ministre Baird a annoncé le 13 juillet son intention d’ouvrir une ambassade canadienne en Birmanie, pays gouverné par la dictature militaire du Conseil d’État pour la paix et le développement. Par ailleurs, un financement de 10 millions de dollars sur trois ans sera accordé aux projets liés à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), qui regroupe dix pays, dont le Vietnam, la Thaïlande et la Birmanie. « Le renforcement des liens commerciaux avec les économies à croissance rapide de l’ANASE fait partie du plan commercial du gouvernement du Canada », toujours selon AECIC.
En cela, Ottawa s’accorde aux recommandations du rapport Winning in A Changing World : Canada and Emerging Markets, présenté en personne au premier ministre Stephen Harper par le cabinet en droit des affaires Gowlings en juin. La quatrième recommandation stipulait tout particulièrement que « la diplomatie canadienne devrait miser sur les marchés émergents » et qu’une « nouvelle stratégie globale pour le commerce et l’investissement nécessite une recalibration de la représentation politique et commerciale étrangère du Canada ».
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Avec Frédérique Doyon