Nouvel accrochage entre Ottawa et Québec

M. Bolduc a donné instruction à la Régie de l’assurance maladie du Québec de prendre la relève « temporairement » et de financer les soins médicaux et pharmacologiques des demandeurs d’asile qui ne seront désormais plus couverts par Ottawa.
Photo: Jacques Grenier - Le Devoir M. Bolduc a donné instruction à la Régie de l’assurance maladie du Québec de prendre la relève « temporairement » et de financer les soins médicaux et pharmacologiques des demandeurs d’asile qui ne seront désormais plus couverts par Ottawa.

La cour que Stephen Harper tente de faire au Québec depuis quelques jours n’a pas empêché l’apparition d’une nouvelle pomme de discorde entre le gouvernement de Jean Charest et Ottawa. Québec reproche au gouvernement fédéral de lui refiler une facture annuelle de 5 millions de dollars avec sa réforme des soins de santé prodigués aux demandeurs de statut de réfugié.

Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, et sa collègue de l’Immigration et des communautés culturelles, Kathleen Weil, ont récemment envoyé une lettre au ministre fédéral de la Citoyenneté et de l’Immigration, Jason Kenney, lui demandant de mettre sur la glace sa réforme, a appris Le Devoir. « Ils ont écrit au gouvernement fédéral lui demandant de revoir sa décision ou du moins de la suspendre le temps que les gouvernements des provinces puissent en faire une évaluation globale », explique la porte-parole de M. Bolduc, Natacha Joncas-Boudreau.


D’ici à ce qu’Ottawa change de cap, M. Bolduc a donné instruction à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) de prendre la relève « temporairement » et de financer les soins médicaux et pharmacologiques des demandeurs d’asile qui ne seront désormais plus couverts par Ottawa. Le coût préliminaire est estimé à 5 millions de dollars par année, indique Mme Joncas-Boudreau.


« Le diabète n’est plus considéré comme un problème de santé publique comme l’entend le fédéral, mais quelqu’un qui fait une crise de diabète ira à l’hôpital pour recevoir des soins. Alors on fait le calcul que c’est « avantageux » de les soigner en amont plutôt qu’en aval. »


Par décret, Ottawa a annoncé à la fin avril qu’il modifiait le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI). En vertu de ce programme, un demandeur d’asile (qui n’est par définition pas admissible aux programmes d’assurance maladie provinciaux) voyait ses services de santé de base payés par Ottawa. Les médicaments, les soins dentaires, les soins de la vue, les services d’ambulance et les appareils d’aide à la mobilité étaient également couverts.


La réforme met fin à presque tout cela. Exit les soins dentaires et les soins de la vue. Pour tous. Quant aux services hospitaliers, aux services d’un médecin ou infirmier, aux services de laboratoire, de diagnostic ou d’ambulance, ils ne seront couverts que s’ils sont « de nature urgente ou essentielle ». Et encore : juste dans le cas des demandeurs d’asile provenant de pays légitimes aux yeux d’Ottawa. Les demandeurs provenant de pays « désignés », c’est-à-dire peu susceptibles de générer des réfugiés légitimes de l’avis d’Ottawa, n’auront accès à ces derniers soins que s’ils sont « nécessaires pour prévenir ou traiter une maladie présentant un risque pour la santé publique ». Bref, si la maladie du demandeur menace la santé des autres Canadiens et pas seulement la sienne. La liste des pays désignés sera établie plus tard cette année par le ministre Kenney.


La réforme entrera en vigueur samedi. Le PFSI a coûté à Ottawa 84,6 millions de dollars en 2010-2011. Le gouvernement fédéral espère épargner avec ce changement 70 millions de dollars sur trois ans, puis 15 millions par année par la suite. Mais Québec estime que ce n’est dans les faits qu’un déplacement de dépenses.


Au moment de l’annonce, le ministre Jason Kenney avait expliqué qu’il ne veut plus demander aux contribuables canadiens « de payer pour que les personnes protégées et les demandeurs d’asile aient accès à un régime de soins de santé plus généreux que celui auquel ils ont eux-mêmes droit ».


Avec les changements au PFSI, un demandeur qui fait une crise cardiaque aura droit à une consultation à l’urgence et une chirurgie, mais à rien du tout s’il provient d’un pays « désigné ». (Provenir d’un pays désigné ne signifie pas que la demande d’asile est rejetée.) Un demandeur diabétique pourra voir un médecin, mais devra payer son insuline lui-même. S’il provient d’un pays désigné, il n’aura droit à rien du tout. Une demanderesse enceinte pourra accoucher sans frais seulement si elle provient d’un pays non désigné. Dans les cas de tuberculose, de VIH ou de psychose, tout continuera d’être payé, y compris les médicaments, car on juge que ces conditions menacent la sécurité ou la santé publiques.


Des médecins commencent à monter aux barricades pour contester ces changements. Le groupe Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés a annoncé hier qu’il a mis en place un système informatique que ses membres seront invités à utiliser pour rapporter les cas de patients subissant des complications ou même la mort à cause de la réforme. Ensuite, le groupe promet de perturber les annonces publiques des députés conservateurs ou toute annonce reliée à la santé.


« Désormais, les médicaments contre l’angine, le diabète, l’asthme, l’épilepsie, les AVC ne sont plus considérés comme nécessaires juste parce que Jason Kenney le décide ! », tonne Philip Berger, le directeur de la médecine générale et communautaire de l’hôpital St. Michael’s, à Toronto. « Le ministre Kenney veut que les médecins et les hôpitaux traitent les gens dans les salles d’urgence. Ce n’est pas comme cela qu’on pratique la médecine au Canada, mais ce sera le résultat de facto. »

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