Demi-marathon parlementaire en perspective

Ce devait être un marathon parlementaire, mais finalement, ce n’en sera qu’un demi. Le projet de loi budgétaire mammouth fera l’objet d’une multitude de votes à la Chambre des communes, mais en nombre beaucoup moins grand que prévu. Les députés voteront finalement pendant environ 22 heures consécutives.
Au départ, les partis d’opposition avaient proposé 871 amendements au pachydermique projet de loi C-38 mettant en oeuvre le budget 2012-2013. Le président de la Chambre des communes, le conservateur Andrew Scheer, les a regroupés pour en réduire le nombre. Au mieux, les députés n’auront à se lever que 67 fois et au pire, 159 fois, certains votes étant tributaires du rejet d’autres motions. Avec une moyenne de sept votes à l’heure, le marathon durera entre neuf et 22 heures. Il pourrait commencer dès ce soir, mais plus probablement demain, à minuit.
« À titre de président, je suis tout à fait conscient de la nature extraordinaire de la situation actuelle », a lancé M. Scheer en lisant sa décision. « Tant dans mon choix des motions et leur regroupement que dans l’organisation des votes, j’ai essayé autant que faire se peut de respecter les souhaits de la Chambre tout en m’acquittant de mes responsabilités et d’organiser l’examen des motions à l’étape du rapport d’une façon juste et équitable. » M. Scheer a soutenu que les parlementaires ne pouvaient pas réellement souhaiter la tenue de 871 votes consécutifs, une opération qui durerait une semaine.
Déçue, l’opposition n’a pas pour autant mis en doute l’objectivité du président. « On ne fait pas la même lecture des règlements que lui », a indiqué le chef du NPD, Thomas Mulcair, conciliant. « Si on avait pris ce temps-là pour étudier correctement le projet de loi, on n’aurait pas fait face à 24 heures de vote à la Chambre des communes. C’est l’entêtement et le non-respect des institutions de la part des conservateurs qui nous a mis dans cette situation, cette impasse. Le président est en train de faire ce qu’il peut avec une réglementation qui n’avait jamais prévu un tel résultat. »
Même son de cloche du côté libéral. « Je ne vais pas attaquer un juge qui me donne une décision que je n’aime pas », a dit le chef intérimaire, Bob Rae. Les partis d’opposition répètent sans relâche qu’ils ne jouent pas un jeu, mais tentent plutôt d’attirer l’attention du public sur un projet de loi tentaculaire dont l’impact se fera sentir sur tout le monde, l’environnement et les poissons.
Des élections en août ?
Reste à savoir si certains de ces amendements mis en avant par l’opposition réussiront à obtenir l’aval de la Chambre des communes. Avec sa majorité, le gouvernement conservateur est en théorie assuré de remporter tous les votes. Mais l’opposition espère qu’après plusieurs heures de votes, certains députés seront appelés qui aux toilettes, qui à la cantine, et qu’une erreur de calcul de la part du whip du gouvernement fera perdre à ce dernier un vote. Il faudra alors déterminer si cette défaite est considérée comme une perte de confiance, entraînant la tenue d’une élection.
« Nous, on va dire que c’est un vote de confiance », a dit sans ambages le libéral Marc Garneau. Par tradition, les questions budgétaires sont considérées comme engageant la confiance de la Chambre envers le gouvernement, mais il revient au premier ministre de faire cette détermination, rappellent les spécialistes de la procédure parlementaire. Les 159 motions se rapportent à la loi budgétaire C-38, mais la plupart modifient des articles n’ayant pas une nature budgétaire (par exemple, la réforme des lois environnementales).
Le gouvernement a refusé de dire lesquels des 159 votes étaient considérés comme engageant la confiance. « Nous avons l’intention de gagner chacun des votes », s’est borné à dire le leader du gouvernement en Chambre, Peter Van Loan. « Ce sera au premier ministre de considérer le contenu de l’amendement et déterminer s’il va à l’encontre de sa politique fiscale », explique Robert Marleau, ancien greffier de la Chambre des communes.
Par ailleurs, M. Marleau et Peter Russell, expert sur le régime constitutionnel canadien de l’Université de Toronto, rappellent, en invoquant un cas survenu en 1968 sous Lester B. Pearson, qu’un gouvernement ne peut pas perdre la confiance de la Chambre à cause d’une erreur d’inadvertance, seul cas de figure possible ici. Bref, une élection ne fait pas partie des scénarios, quoi qu’il arrive. « Si le vote était perdu à la suite de la frustration de députés conservateurs qui décident de s’unir à l’opposition, ce serait une autre paire de manches », conclut M. Russell.
Les votes pourraient ne commencer qu’à minuit ce soir ou demain, car le gouvernement a décrété le prolongement des heures des travaux parlementaires hier dans l’espoir de faire adopter un certain nombre de projets de loi lui tenant à coeur, soit celui sur la réforme du droit d’auteur (C-11) et ceux instaurant un traité de libre-échange avec le Panama (C-24) et la Jordanie (C-23).
Le président de la Chambre a par ailleurs rejeté la demande de Mme May qui voulait faire déclarer C-38 invalide au motif qu’il ratisse trop large et que ses diverses sections n’ont aucun lien entre elles. M. Scheer a invoqué le titre du projet de loi, « Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en oeuvre d’autres mesures ».
« Si le titre intégral avait été précis et de portée limitée, alors l’affirmation de l’honorable députée selon laquelle le projet de loi outrepasse le contenu du budget aurait pu avoir un fondement plus solide, a indiqué le président. Cependant, le projet de loi C-38 a un titre d’une vaste portée et, par conséquent, l’usage accepté veut que son contenu puisse être tout aussi vaste. »
M. Scheer reconnaît que sa décision peut être frustrante, mais il cite la jurisprudence parlementaire en la matière. Il ne tient qu’aux élus, dit-il, de changer le cours des choses. « Il se peut que le temps soit venu pour les députés d’examiner les pratiques de la Chambre concernant les projets de loi omnibus. Cependant, en l’absence de règles claires, […] le rôle le plus approprié pour la présidence est de ne pas prendre position et de laisser la Chambre régler la question. »