Lawrence Cannon à Paris

C’est officiel : l’ex-ministre conservateur Lawrence Cannon sera ambassadeur à Paris. Il s’agit d’un poste important pour le gouvernement fédéral, au lendemain de l’élection en France d’un président considéré comme proche du Parti québécois et alors qu’Ottawa en est à la dernière étape pour clore un accord de libre-échange avec l’Union européenne.
Fait rare pour ce genre de nomination - qui se fait habituellement par voie de court communiqué -, le premier ministre en a fait l’annonce lui-même aux Communes hier. Stephen Harper a affirmé avoir communiqué la nouvelle au nouveau président François Hollande dimanche, lors de son coup de fil pour le féliciter de sa victoire électorale. Il affirme lui avoir alors souligné que M. Cannon avait « toute [sa] confiance et l’expérience nécessaire ». « Cela témoigne de l’importance que nous accordons à notre relation avec la France, avec qui nous avons des liens économiques, culturels, linguistiques, historiques », a plaidé le premier ministre.
Et le signal envoyé est effectivement fort, selon Claude Bédard, ancien directeur des communications de la Délégation du Québec à Paris de même que porte-parole d’Alain Juppé lorsque ce dernier était en poste à Montréal. Car M. Harper n’a pas nommé un simple « diplomate de carrière », mais son ancien ministre des Affaires étrangères, un homme de confiance qui aura l’oreille attentive du premier ministre canadien depuis Paris.
De quoi rassurer non seulement le prochain gouvernement français, mais aussi celui du Canada, puisque tout changement à la barre d’une ambassade entraîne nécessairement son lot de dossiers à ressasser. D’autant plus que, cette fois-ci, « il y a plus qu’un changement de gouvernement, il y a un changement de paradigme », note M. Bédard en entretien. Au chapitre des enjeux à surveiller pour M. Cannon, il y a l’accord commercial qu’Ottawa espère signer avec l’Union européenne d’ici la fin de l’année. En campagne électorale, François Hollande s’est montré réfractaire à l’ouverture des frontières. Le gouvernement canadien nie cependant que son élection menace la conclusion de cet accord tant attendu.
Or, voilà une première rupture avec son prédécesseur de droite, Nicolas Sarkozy. « Spontanément, M. Hollande ou son ministre responsable seront plus attentifs aux arguments sociaux-démocrates parce que ce sont les leurs », estime Jean-François Lisée, du CERIUM. L’analyste politique juge que le choix de M. Cannon est « très habile », car non seulement il est proche du premier ministre canadien, il a aussi été ministre à Québec. Il pourra donc « mieux naviguer », selon M. Lisée. Et il pourra démontrer « qu’il peut y avoir deux voix au Québec, une qui vient du fédéral et une du Québec », évalue M. Bédard.
Car, autre changement de direction, François Hollande risque de renouer avec la tradition française de la « non-ingérence, non-indifférence », son Parti socialiste - proche du Parti québécois - ayant adopté l’an dernier une résolution pour y revenir après le désaveu de Nicolas Sarkozy. Voilà qui pourrait signifier pour les souverainistes qu’une « page se tourne », selon Frédéric Bastien, auteur de livres sur les relations France-Québec. Mais la position de M. Hollande sur la question nationale ne doit pas préoccuper outre mesure le gouvernement Harper, selon lui, car « en ce moment, tout ce qui touche à la question nationale est assez tranquille ».
Une opinion partagée à Ottawa, où l’on minimise l’impact d’un changement de garde vers la gauche à l’Élysée. Dans les coulisses conservatrices, on trace plutôt un parallèle avec la situation américaine. « Quand le premier ministre a rencontré Barack Obama pour la première fois, tout le monde disait qu’Obama étant démocrate, il est anti-conservateur. Mais la relation qu’on a toujours eue, peu importe les formations politiques au pouvoir de part et d’autre, a toujours été une relation très pragmatique. Donc, nous n’anticipons pas une relation ni plus ni moins importante. Nous avons des affinités avec la France qu’aucun autre pays ne peut réclamer. »
Réactions partagées
Les partis d’opposition ont refusé de critiquer le choix de Lawrence Cannon, estimant tour à tour qu’en tant qu’ex-ministre des Affaires étrangères, il était qualifié pour le poste. Mais ils ont dénoncé l’allure de patronage, notant que ce conservateur défait succède à ses ex-collègues qui ont hérité de nominations politiques (Josée Verner au Sénat, Jean-Pierre Blackburn à l’UNESCO, Bernard Généreux à l’Administration portuaire de Québec). « La tendance a été continue », a commenté Nathan Cullen, du Nouveau Parti démocratique, le bloquiste Jean-François Fortin la comparant au jeu télévisé américain Qui perd gagne. « Il a perdu, puis il a gagné […] La défaite politique n’est apparemment jamais permanente », a affirmé le chef libéral Bob Rae. L’actuel ministre des Affaires étrangères, John Baird, a cependant réfuté ces critiques, louant l’expérience politique de son prédécesseur, qu’il dit « extrêmement bien qualifié ».
Depuis septembre 2011, M. Cannon était l’un des directeurs de l’entreprise minière Oceanic Iron Ore, où il siège aussi au conseil d’administration. Cette société de Vancouver mène actuellement un projet d’exploration en vue d’exploiter d’ici cinq ans un important gisement de fer dans l’extrême nord du Québec. Mais pour parvenir à la phase d’exploitation, l’entreprise aura besoin d’un port en eaux profondes, un défi technique de taille en raison de l’éloignement du projet mais aussi des très fortes marées. L’utilisation de brise-glace sera aussi essentielle pour permettre de transborder le minerai à bord d’immenses navires qui seraient ancrés au large. Un tel projet doit être autorisé par le gouvernement fédéral, qui pourrait aussi être appelé à contribuer à son financement. M. Cannon était, jusqu’en mai 2011, ministre du gouvernement Harper. Fraîchement nommé ambassadeur, il prévoit démissionner de ses postes de directeur et d’administrateur.
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Avec Hélène Buzzetti et Alexandre Shields