Une loi mammouth pour changer les règles sans débat

Ottawa – Le scénario du pire que craignaient les environnementalistes s’est produit. Le gouvernement conservateur a déposé hier un projet de loi mammouth de mise en oeuvre du budget qui englobe tous les changements en profondeur aux lois environnementales annoncés par les ministres et même d’autres passés sous silence jusqu’à maintenant. Le tout sera étudié à toute vitesse par un comité spécialisé… en finances.
Tout y passe dans ce projet de loi de 431 pages modifiant plus de 60 lois existantes : l’évaluation environnementale, la protection de l’habitat des poissons, l’immigration, la Sécurité de la vieillesse, la procréation assistée, la surveillance des services secrets, l’assurance des expositions culturelles itinérantes, l’encadrement des organismes de bienfaisance et bien d’autres choses encore. Ces sujets auraient pu chacun faire l’objet d’un projet de loi distinct et être analysés par le comité parlementaire approprié. Le gouvernement a plutôt tout regroupé dans le même document qui sera étudié en un bloc par les critiques en finances. L’opposition y voit une manière d’empêcher tout débat.
« Le gouvernement n’a pas confiance en ses propres idées », a ironisé le leader parlementaire du NPD, Nathan Cullen. « Ils disent au fond que si cette idée était soumise de manière directe aux Canadiens, elle serait rejetée. Alors à la place, ils espèrent l’enterrer à la page 200 d’une loi de mise en oeuvre budgétaire en pensant que personne ne la lira. Mais nous lisons et les Canadiens seront mis au courant. Ils ne peuvent pas cacher la vérité. » Selon le critique libéral en matière de finances, Scott Brison, il s’agit d’une façon de « réduire le débat ». « Ce n’est pas démocratique, mais c’est toujours le cas avec ce gouvernement. »
Le ministre des Finances, qui pilote ce projet de loi, Jim Flaherty, estime qu’il faut procéder rapidement, car il s’agit de protéger et de stimuler l’économie. « Certains des changements apportés sont assez importants et doivent être faits rapidement », a-t-il dit.
Le projet de loi budgétaire revoit en profondeur le processus d’évaluation environnementale pour les grands projets comme les oléoducs, comme l’avait promis le ministre des Ressources naturelles, mais on y trouve aussi certains éléments qui n’avaient pas été publicisés. Ainsi, lorsque viendra le temps d’évaluer l’impact d’un projet sur l’environnement, seuls seront considérés les poissons, les espèces aquatiques menacées et les oiseaux migrateurs. Autre chose pourrait être éventuellement ajouté à une annexe. L’humain ? Les ours ? Les batraciens ? Ils ne sont plus mentionnés pour l’instant, déplore la chef du Parti vert, Elizabeth May.
« On aura une évaluation environnementale qui se limitera aux poissons, aux espèces aquatiques et aux oiseaux migrateurs et rien d’autre à moins qu’on réussisse à faire inscrire le reste de l’univers vivant dans cette annexe ii », déplore Mme May.
Autre surprise selon elle : quand viendra le temps d’évaluer un oléoduc, c’est l’Office national de l’énergie qui aura désormais la responsabilité de faire appliquer la Loi sur les eaux navigables et la Loi sur les espèces en péril. « L’Office national de l’énergie aura le pouvoir, en vertu de la Loi sur les espèces en péril, de permettre la destruction d’espèces en danger si elles se trouvent sur le chemin d’un oléoduc, dit Mme May. […] Ceci n’est pas un budget, ce n’est pas une mesure fiscale, il s’agit de faire passer sans débat le projet de Northern Gateway. »
Mme May reconnaît que certaines de ses craintes ne se sont pas matérialisées. Ainsi, le gouvernement change bel et bien la Loi sur les pêches pour protéger seulement les espèces ayant une valeur commerciale, récréative ou autochtone, mais il est aussi précisé que les poisons dont ils se nourrissent seront aussi protégés.
Ce projet de loi resserre par ailleurs les règles encadrant les organismes de bienfaisance, qui ne peuvent utiliser plus que 10 % de leurs revenus pour faire des démarches politiques. Le gouvernement referme une faille du système en décrétant que l’argent versé par un organisme de bienfaisance à un autre organisme faisant de la militance sera considéré comme des sommes servant à des fins politiques soumises au plafond.
Le libéral Scott Brison a été prompt à y voir une « chasse aux sorcières » visant à intimider les groupes qui osent se prononcer contre les visées du gouvernement. L’avocat spécialisé dans le droit des organismes de bienfaisance, Mark Blumberg, ne croit pas qu’il y a péril en la demeure, estimant que la rhétorique conservatrice a été plus musclée que ce que la loi fait en réalité. « Ça ne change pas grand-chose », dit-il. Quant à la surveillance accrue promise du respect des règles, l’avocat estime qu’elle pourrait faire des victimes imprévues. « Il y a beaucoup plus d’églises et de groupes religieux qui risquent d’avoir un problème que de groupes environnementaux. »
Un gouverneur général plus riche
Comme promis dans le dernier budget, le salaire du gouverneur général sera désormais soumis au fisc, mais pour compenser l’effet financier, ce salaire est… doublé. Il passe de 137 500 $ à 270 602 $. Il a été impossible de calculer hier soir si ce montant fera en sorte que le représentant de la reine se retrouvera avec plus d’argent en poche qu’avant.
Avec le projet de loi d’hier, une panoplie d’organismes n’auront plus à faire de rapport annuel aux ministres responsables et au Parlement. Ils ne seront plus non plus soumis annuellement à un rapport du vérificateur général. C’est le cas notamment de l’Administration du pipeline du Nord, le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports ou encore l’Agence canadienne d’inspection des aliments.
Autre surprise glissée en plein coeur du projet de loi omnibus, le poste d’inspecteur général du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) - chien de garde indépendant de l’organisme - est aboli. Le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui n’a pas de président permanent pour le moment, sera donc seul pour surveiller le SCRS. L’économie annuelle est de près de 1 million de dollars, a plaidé le bureau du ministre de la Sécurité publique, Vic Toews.
En immigration, le ministre Jason Kenney laissait planer l’idée depuis plusieurs mois, et voilà que c’est confirmé : afin de mettre fin à l’engorgement du système, toutes les demandes de résidence permanente déposées en vertu du programme de travailleurs qualifiés avant le 27 février 2008, et qui n’avaient pas été approuvées avant le début du mois, sont effacées.